Langues étrangères et dysphasie : une peine perdue?

Qu’est-ce que la dysphasie ? 

D’après le site internet “ Tous à l’école” la dysphasie est “un trouble spécifique du développement de la parole et du langage entraînant l’échec d’une acquisition normale du langage réceptif et/ou expressif et ne résultant pas d’une déficience intellectuelle, ni d’un déficit sensoriel, ni d’un trouble autistique de la communication et de la relation.” Pour faire simple, la dysphasie est une pathologie qui affecte les organes du langage comme les cordes vocales par exemple, et elle se développe bien souvent dès la naissance. Les parents sont souvent alertés par le mutisme apparent de leur enfant et entament un processus de diagnostic. Il s’agit donc d’une pathologie bien différente des autres troubles « DYS »,  la dyslexie ou la dysorthographie sont par exemple des troubles mentaux qui affectent les apprentissages et l’acquisition du langage. On ne peut donc pas apporter les mêmes réponses ni envisager les aménagements de manière similaire car il s’agit de problèmes complètement différents. 

Forcément, la dysphasie représente une difficulté dès le début de la scolarisation. Tout le monde peut en effet s’interroger sur les modalités d’apprentissage pour un élève qui ne parle pas ou peu. Dès la maternelle, avec l’éveil à la diversité linguistique, les enseignements en langues vivantes étrangères sont basés sur l’oralité et plus particulièrement à cette période sur le mimétisme, et la répétition de blocs lexicalisés plus qu’une pratique raisonnée de la langue. Or, si un élève arrive au collège en n’ayant pas eu ou peu l’occasion d’opérer ce travail sur les sons grâce à sa propre voix, il est fort probable que les liens entre phonie et graphie ne s’opèrent pas. 

 Même si cet article a vocation à se pencher plus particulièrement sur le cas de l’apprentissage des langues vivantes étrangères, il semble assez évident que la dysphasie puisse représenter une difficulté pour tous les autres apprentissages. En effet, il convient de s’interroger  sur l’estime de soi de l’élève et sa motivation à l’école. Prendre la parole en classe devant tous les autres élèves est déjà une tâche compliquée, même pour un élève qui ne présente pas de troubles liés au langage. Alors pour un enfant qui éprouve de grandes difficultés à s’exprimer de par sa dysphasie, ces difficultés sont décuplées et chaque prise de parole peut devenir une épreuve :

 Un enfant dysphasique a le désir de communiquer; les aspects relationnels et sociaux sont investis de façon appropriée, mais la forme linguistique du message est déformée. Il est constamment dans l’impossibilité de traduire en mots, en phrases ou en discours sa pensée souvent intacte. 

Diethelm Aurélie, Arcodianocco (dir.)  L’estime de soi chez un élève dysphasique, mémoire de recherche, 2014.

Cela montre donc que les élèves atteints de dysphasie vont être plus susceptibles de  se retrouver dans des situations difficiles voire d’échecs à l’école qui seront très frustrantes car même dans le cas simple où l’enseignant pose une question à l’élève, ce dernier peut parfaitement connaître la réponse sans être capable de la traduire par des mots. Si l’on reprend le schéma de l’estime de soi dans les apprentissages élaboré par Germain Ducos ci-dessous, il s’agit avant toute chose de fournir à l’élève dysphasique des occasions de réussir des tâches afin de l’engager durablement dans les apprentissages : 

Pour élaborer plus longuement sur les différents moyens pédagogiques et institutionnels qui permettent de pallier ces difficultés nous allons nous pencher sur le cas plus particulier de l’apprentissage des langues vivantes étrangères, à partir du collège (fin cycle 3), et nous étudierons le cas particulier de l’enseignement de l’anglais en LV1. 

La dysphasie en classe et à l’école 

Dans le cadre des langues vivantes comme l’anglais, la communication orale est au cœur de l’apprentissage : l’élève doit écouter son professeur, répondre à ses questions et s’exprimer en classe pour progresser (on parle toujours en langue vivante de “Réception et Production”). Il apprend à identifier de nouveaux sons, de nouveaux mots qui lui sont étrangers, et il doit décoder ce langage avec son propre répertoire lexical. 

Le dysphasique ne peut donc pas faire l’impasse sur ces compétences orales malgré les défis qui s’opposent à lui, car l’anglais et les langues vivantes sont inévitablement des outils de langage oralisés avant d’être écrits. L’anglais est aussi une langue bien spécifique qui pose problème quant à sa graphie-phonie. Comme l’explique Jean-François Démonet :

Il existe 1120 combinaisons de lettres (graphèmes) pour représenter les 40 sons anglais (phonèmes), alors qu’en français, il y a plus de 190 graphèmes différents pour 35 phonèmes (6 fois moins qu’en anglais !).

Par conséquent, si la prononciation des mots est déjà compliquée pour un élève dysphasique, cela l’est d‘autant plus en anglais ! Une même lettre peut se prononcer de plusieurs manières, il est donc difficile pour l’élève de se remémorer la prononciation des mots appris en classes, puisque le lien graphie-phonie n’est pas automatique. De plus, la prononciation des phonèmes diffère totalement de celle des phonèmes français, ce qui constitue un obstacle supplémentaire.

L’élève dysphasique est alors en grande difficulté dans les cours de langues vivantes, notamment à cause de la prédominance de l’oral dans les bulletins officiels. Par exemple, certaines compétences énoncées par le BO du cycle 3 du 30 juillet 2020 poseront problème :  “comprendre et s’exprimer à l’oral”, “lire” si c’est à voix haute ou “comprendre le fonctionnement de la langue”. 

Il faut aussi noter que le BO du 22 janvier 2019 met l’accent sur la communication orale pendant les années lycées. Les activités langagières comme la production orale, l’interaction orale et la réception orale occuperont donc une part importante de l’apprentissage de l’anglais, ce qui pourrait représenter un frein pour les dysphasiques. Il est alors essentiel d’adapter ces différentes compétences pour ne pas les pénaliser.

Finalement, l’apprentissage de l’oral en langue vivante concorde bien évidemment avec l’apprentissage de l’écrit, et il est évident que les problèmes à l’oral se répercutent sur les compétences écrites de l’élève. Par conséquent,  les notes, la motivation et la confiance en soi se verront affectées, c’est pourquoi tout enseignant se doit de trouver un remède à ces problématiques.

Comme la dysphasie est un trouble relatif à l’apprentissage, et qu’elle présente un défi à relever pour le personnel éducatif accompagnant l’élève dans sa scolarité, l’Éducation Nationale traite de ce sujet dans ses textes et ses lois. 

Dans les textes institutionnels, des ressources quant à la prise en charge des élèves présentant des troubles de l’apprentissage, dont la dysphasie fait partie, sont fournies

Le principe d’école inclusive s’engage à répondre aux besoins particuliers éducatifs des élèves grâce aux projets d’accompagnement personnalisé. Ces projets permettent à tout élève présentant des difficultés durables en raison d’un trouble de l’apprentissage de bénéficier d’un aménagement et d’adaptations de nature pédagogique.

Le constat des troubles est fait par le médecin scolaire. Il ou elle rend alors un avis sur la pertinence de la mise en place d’un plan d’accompagnement personnalisé au vu de la présence ou non d’un trouble des apprentissages.

 De l’aide peut également être apportée aux élèves hors de l’école :

Au sujet des orthophonistes, le Code de la Santé Publique dit, de par l’article R4341-1:

1 – [L’orthophonie consiste à] prévenir, à évaluer et à prendre en charge, aussi précocement que possible, par des actes de rééducation constituant un traitement, les troubles de la voix, de l’articulation, de la parole, ainsi que les troubles associés à la compréhension du langage oral et écrit et à son expression ;

2 – À dispenser l’apprentissage d’autres formes de communication non verbale permettant de compléter ou de suppléer ces fonctions. »

Ainsi que de par l’article R4341-3 :

L’orthophoniste est habilité à accomplir les actes suivants :

1 – Dans le domaine des anomalies de l’expression orale ou écrite : 

1.a) La rééducation des fonctions du langage chez le jeune enfant présentant un handicap moteur, sensoriel ou mental ;

1.b) La rééducation des troubles de l’articulation, de la parole ou du langage oral, dysphasies, bégaiements, quelle qu’en soit l’origine […].

Le Code de l’Éducation, au sujet de l’accompagnement des élèves en difficulté, dit, de par l’article D311-13 :

Les élèves dont les difficultés scolaires résultent d’un trouble des apprentissages peuvent bénéficier d’un plan d’accompagnement personnalisé prévu à l’article L. 311-7, après avis du médecin de l’éducation nationale. Il se substitue à un éventuel programme personnalisé de réussite éducative. Le plan d’accompagnement personnalisé définit les mesures pédagogiques qui permettent à l’élève de suivre les enseignements prévus au programme correspondant au cycle dans lequel il est scolarisé. Il est révisé tous les ans.

Dans Scolariser les enfants présentant des troubles des apprentissages (TSA), les ressources fournies par Eduscol relatives à l’accompagnement éducatif traitent de l’apprentissage et de la maîtrise de la langue orale :

[Cela] constitue l’enjeu central de toute scolarité et, au-delà, un élément essentiel de l’exercice de la citoyenneté. Le développement de compétences langagières et linguistiques est un facteur déterminant dans l’élaboration des processus de communication et de conceptualisation. Il fait, à ce titre, l’objet d’une attention particulière de la part des parents, ainsi que des professionnels, enseignants en particulier, concernés par l’éducation du jeune enfant. 

Si des dispositifs sont mis en place pour venir en aide aux élèves dysphasiques, les enseignants d’anglais doivent également veiller à ce que leurs séquences leur soient totalement adaptées afin de ne pas les décourager ou les pénaliser.

Cas pratique : comment enseigner l’anglais aux élèves dysphasiques ?

 Si l’apprentissage de l’anglais peut apparaître comme un obstacle pour les élèves dysphasiques, plusieurs solutions peuvent être apportées pour les aider tout au long de leur scolarité. En effet, cette matière est particulièrement difficile pour eux, notamment à cause de la difficulté de prononciation des phonèmes, mais cela ne signifie pas que c’est impossible. L’enseignant doit alors mettre en place une pédagogie différenciée afin de diminuer les obstacles que l’élève peut rencontrer.

 Cap intégration Genève met en avant ces principes fondamentaux dans l’apprentissage de l’anglais aux élèves dysphasiques :

  • proposer des supports oraux et visuels
  • illustrer le propos par des objets, croquis, photos et schémas
  • intégrer des jeux et activités ludiques

Par conséquent, un grand nombre de dispositifs peuvent être mis en place pour aider les élèves dysphasiques, les supports visuels représentant le grand allié de ces élèves. Par exemple, selon Avenir Dysphasie Rhône, il est préférable d’utiliser des couleurs lors de l’apprentissage de la grammaire. En effet, avec l’utilisation des couleurs, les élèves peuvent plus facilement visualiser les différents éléments présents dans une construction grammaticale. Cette visualisation est un outil essentiel sur lequel les élèves dysphasiques se reposent pour s’approprier le fonctionnement de la langue.

Par exemple, si l’on enseigne l’utilisation de l’auxiliaire “do” dans les constructions négatives, il est préférable de procéder comme s’ensuit :

Ici, les différents constituants de la forme négative en anglais sont explicitement différenciés, bien plus que si cette règle était énoncée d’une seule et même couleur. 

Les couleurs peuvent également être utilisées dans l’apprentissage du lexique et de la phonologie, en associant chaque phonème à une couleur. En effet, le lien graphie/phonie n’est pas évident pour les élèves dysphasiques, le langage oral étant leur plus grand obstacle, il est donc essentiel de leur donner des clés pour associer plus facilement l’orthographe des mots et leurs sons. Par exemple, Véronique Bancel explique dans son mémoire de recherche que l’on pourrait associer le phonème /i:/ à la couleur “green”. Cela permettra aux élèves de créer dès le début de leur apprentissage leur propre boîte à outils dans laquelle chaque son sera associé à une couleur. Ainsi, dès qu’ils rencontreront un mot lexical contenant le son /i:/, tels que “sleep” ou “beach”, ils pourront les ranger dans la catégorie des mots verts et les écrire de cette couleur dans leur cahier d’anglais. Associer chaque nouveau mot à une couleur favorise encore une fois la visualisation. Ainsi, le mot “sleep” apparaîtra en vert dans le cahier mais également dans l’esprit de l’élève, ce qui l’aidera à retenir la prononciation du mot.

Par ailleurs, il est indispensable d’utiliser des grilles d’évaluations différenciées pour les élèves dysphasiques, notamment  pour les productions orales. En effet, l’articulation des phonèmes anglais étant complexes pour ces élèves, l’enseignant ne peut les évaluer selon des critères identiques au reste de la classe. Tout d’abord, nous pourrions proposer un support visuel lors d’un passage oral, afin que l’élève dysphasique ne se sente pas démuni et aie quelque-chose sur lequel se reposer. Il peut donc accompagner sa production orale d’images ou garder une fiche contenant des mots-clés. Si l’apprentissage de l’oral ne doit pas être mis de côté, il est néanmoins utile de lier l’oral au visuel, afin de diminuer le nombre d’obstacles que l’élève peut rencontrer.

Enfin, si la prononciation des phonèmes doit représenter une grande partie du barème de notation dans une production orale, lorsqu’il s’agit d’un élève dysphasique, l’effort, la grammaire et la richesse du lexique doivent être privilégiés. L’oral peut également représenter une grande source de stress pour l’élève, voire même entraîner une perte de confiance en soi, il est alors possible d’évaluer ses productions orales à l’aide d’une baladodiffusion : l’élève s’enregistrera seul sur un baladeur MP4, cela évitera la peur du regard de l’autre. Toutefois, il ne faut pas oublier d’encourager ces élèves à participer à l’oral et à se faire confiance malgré des erreurs de prononciations.

Pour conclure, n’oubliez pas les élèves dysphasiques dans vos classes, l’anglais représente une difficulté mais ce n’est pas une fatalité, c’est à nous de leur faciliter la tâche en adaptant nos activités autant que possible !

Sources :

  • Avenir Dysphasie Rhône, “Accompagner les troubles du langage : la dysphasie”.
  •  Bancel, Véronique, “Apprendre l’anglais lorsque l’on est atteint de troubles spécifiques du langage est-il un défi impossible, voire inutile ?”.
  • Bulletins Officiels du cycle 3 (30 juillet 2020) et du cycle terminal (22 janvier 2019).
  • Cap Intégration Genève, “L’élève dyslexique/disorthographique et l’apprentissage d’une langue étrangère”.
  • Démonet Jean-François, “La dyslexie dans trois pays européens : des mécanismes cérébraux communs malgré la diversité des langues”, 2001.
  • Diethelm Aurélie, Arcodianocco (dir.)  L’estime de soi chez un élève dysphasique, mémoire de recherche, 2014.
  • www.legifrance.gouv.fr
  • www.tousalecole.fr

 

Bouriaud Victorialine, Pelerito Valentin, Derouin Florian et Cornic Coralie

Ex M1

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