Les jeux sérieux : une alternative d’apprentissage intéressante ?

Les jeux sérieux: définitions

Il existe différentes définitions des jeux sérieux ou serious games, la plus synthétique est celle proposée par les concepteurs de jeux vidéo Michael et Chen (2005) : “Tout jeu dont la finalité première est autre que le simple divertissement.”

Julian Alvarez, professeur universitaire, ayant écrit une thèse à ce propos, donne la définition suivante : « Application informatique, dont l’objectif est de combiner à la fois des aspects sérieux (Serious) tels, de manière non exhaustive, l’enseignement, l’apprentissage, la communication, ou encore l’information, avec des ressorts ludiques issus du jeu vidéo (Game) »

A partir de ces définitions, nous pouvons retenir que les serious game se basent sur trois caractéristiques fondamentales :

–          il s’agit d’une application informatique

–          ayant une finalité autre que le divertissement

–          mais reposant sur un principe ludique.

 

Les enquêtes PISA et le système éducatif français :

 Tous les 3 ans, l’OCDE mène un ensemble d’études (PISA) auprès des élèves de 15 ans de ses états membres et états partenaires. La lecture, les mathématiques et les sciences sont évaluées à tour de rôle et de façon périodique. Il est important de souligner que ces enquêtes n’évaluent pas les élèves sur des exercices scolaires mais sur des mises en situation, sur leurs capacités à mobiliser des connaissances dans leur vie quotidienne. Les compétences mesurées sont celles qui sont jugées nécessaires à la réussite scolaire de l’élèves, à sa vie professionnelle et personnelle et à l’exercice de la citoyenneté.

La France montre des résultats peu satisfaisants. Nous basons notre constat sur les derniers résultats des enquêtes PISA datant de 2016, où l’évaluation portait sur les sciences (ancienne évaluation en sciences : 2006) :

  • il y a de plus en plus d’élèves en difficulté
  • le nombre d’élèves ne maitrisant pas les compétences de base est en augmentation (22%, contre 21% en 2006) (*)
  • les différences de réussite sont fortement liées à l’origine sociale de l’élève ( très forte corrélation origine-réussite) : «En France, les élèves de milieux défavorisés ont quatre fois plus de chance de faire partie des élèves qui ont les plus mauvais scores», résume Gabriela Ramos. (*)
  • le système français peine à gommer ce déterminisme social : Près de 40% des élèves issus de milieu défavorisés sont en difficulté (contre 34% en moyenne dans l’OCDE). Et «seuls 2% des élèves issus de milieux défavorisés se classent parmi les élèves les plus performants», relèvent encore les experts de l’OCDE (*)
  • les écarts sont grands entre les élèves en difficulté et ceux qui réussissent très bien ( formation d’une élite). D’un côté, une élite qui excelle (8% des élèves, un pourcentage stable), de l’autre, un nombre toujours plus important d’élèves qui cumulent les difficultés.

 

Comment l’élève apprend : 

Au fil du temps, de nombreuses théories d’apprentissages ont changé la manière d’enseigner et celle d’apprendre. Aujourd’hui le concept dominant est celui du socio-constructivisme. Cette théorie de Vygotsky suppose que que l’apprentissage est  déterminé majoritairement par le contexte dans lequel il se situe et il se construit activement au travers de négociations sociales avec d’autres personnes.

L’élève construit  de nouveaux savoirs et savoir-faire à partir de ce qu’il a déjà construit. Si son ancien savoir contredit son nouvel apprentissage le sujet doit déconstruire pour construire à un niveau supérieur. Les structures mentales organisent donc la pensée.

Dans cette théorie l’élève apprend également en interagissant avec son milieu et ses apprentissages. L’apprenant est alors considéré comme acteur de son apprentissage et le maître est seulement l’accompagnateur, le guide à la détention du savoir. On doit donc croire en l’enfant pour lui permettre d’avancer dans ses apprentissages. C’est par l’action et le tâtonnement que l’élève comprend et mémorise. (Les élèves apprennent surtout grâce au sens qu’on donne à l’apprentissage.)

 

La différenciation dans le système éducatif français :

Le référentiel de compétences de 2013 rappelle que les professeurs des écoles et personnels d’éducation doivent prendre en compte la diversité des élèves. Aujourd’hui l’école fait la part belle à la différenciation pédagogique pour répondre à l’hétérogénéité de la classe et amener chaque élève le plus loin possible sur le plan de ses apprentissages en tenant compte de ses capacités. Il s’agit de mettre en œuvre un ensemble diversifié de moyens et de procédures d’enseignement et d’apprentissage afin de permettre à des élèves d’âges, d’aptitudes, de compétences et de savoir-faire hétérogènes d’atteindre par des voies différentes des objectifs communs et, ultimement, la réussite éducative.

La différenciation s’adresse aux élèves ayant d’autres façons d’apprendre, présentant des difficultés ou étant au contraire en avance, ou encore pour les élèves à besoins éducatifs particuliers. Il est possible de différencier les modalités d’apprentissage, d’évaluation, les modalités d’exécution de la tache. Quand on parle de différenciation pédagogique, il est important de parler des 7 postulats de Burns :

  • 1.  Il n’y a pas 2 apprenants qui progressent à la même vitesse.
  • 2.  Il n’y a pas 2 apprenants qui soient prêts à apprendre en même temps.
  • 3.  Il n’y a pas 2 apprenants qui utilisent les mêmes techniques d’étude.
  • 4.  Il n’y a pas 2 apprenants qui résolvent les problèmes exactement de la même manière.
  • 5.  Il n’y a pas 2 apprenants qui possèdent le même répertoire de comportements.
  • 6.  Il n’y a pas 2 apprenants qui possèdent le même profil d’intérêt.
  • 7.  Il n’y a pas 2 apprenants qui soient motivés pour atteindre les mêmes buts.

 

Les intérêts des jeux sérieux :

Tout d’abord, l’utilisation d’outils numériques est inscrite dans le domaine 1 et 2 du socle commun de compétences, connaissances et cultures. Les jeux sérieux de part leurs définitions sont en adéquation avec ses composantes. De plus, l’utilisation des jeux sérieux en classe s’inscrit dans une démarche de pédagogie active telle que définie par Piaget. L’élève est acteur et maître de son apprentissage. Les jeux sérieux présentent un modèle d’apprentissage par hypothèses et essais/erreurs. Les élèves peuvent essayer autant de fois que nécessaire jusqu’à gagner. Les jeux sérieux tiennent donc compte des rythmes d’apprentissage de chacun. Les élèves ayant plus de facilités n’ont plus à attendre leurs camarades. Les élèves qui ont besoin d’essayer plusieurs fois pour comprendre seront à même de le faire sans avoir peur d’être jugé négativement par leurs camarades. On peut alors voir les jeux sérieux comme des outils de contrôle de la frustration, comme des moyens d’éviter la stigmatisation et d’entretenir l’estime de soi. L’aspect ludique du jeu et de l’utilisation du numérique permet également de développer la motivation chez l’élève, tout comme les retours réguliers à l’élève sur ses actions a pour résultat d’entretenir sa motivation (Whitton, 2011). On peut imaginer un impact positif sur la réussite scolaire même si à l’heure actuelle on ne dispose pas de recherches empiriques permettant de valider cette conjecture.

Certains jeux sérieux permettent de développer la communication et la collaboration entre pairs en  proposant des versions multi-joueurs dans le but de développer cet échange d’informations pédagogiques entre les élèves. Les élèves s’entraident, échangent sur leurs réponses, et peuvent même se féliciter lorsque leurs réponses sont validées par le jeu.

 

Les limites des jeux sérieux : 

Les jeux sérieux, aussi efficaces qu’ils puissent être, ne sauraient se substituer au savoir de l’enseignant. C’est un outil qui doit être au service des apprentissages, permettant l’entraînement et le renforcement des connaissances, mais qui ne peut être la situation d’apprentissage.

L’efficacité des jeux sérieux dépend de l’usage que l’enseignant en fait dans sa classe, de la pertinence du jeu choisi, du moment où il est mis à disposition des élèves.

Dès lors, comment juger de la pertinence d’un jeu sérieux ? Différents types de jeux sérieux faisant écho à différentes théories d’apprentissages existent. La sélection du jeu doit donc être faite par l’enseignant qui connait ses élèves et qui tient compte de leur diversité, de leurs différents processus et mécanismes d’apprentissage. Le choix dépend aussi des objectifs pédagogiques de l’enseignant et de ses méthodes de travail. On comprend ici l’importance du rôle de l’enseignant qui ne s’arrête pas là. Les expérimentation menées par Habgood (2007) ont révélé qu’un même jeu sérieux présente une efficacité quant à l’acquisition des connaissances par les élèves bien plus significative si l’enseignant a travaillé autour de ce jeu lors de ses séances et s’il a pris le temps après la séance de jeu de débriefer avec sa classe autour du jeu.

Le choix du jeu dépend également du matériel à disposition dans l’école et/ou dans la classe ( ordinateurs et /ou tablettes, leur nombre). L’équipement informatique dont bénéficie l’école est certainement le plus grand frein à l’utilisation des jeux sérieux en classe. L’école doit également bénéficier d’un accès internet à connexion rapide pour que l’utilisation des jeux soit possible.

 

Comment l’enseignant l’intègre t-il dans la classe? Séquence? Evaluation ?

Tout d’abord il est important de noter qu’à l’heure actuelle nous manquons de données empiriques sur le sujet afin de pouvoir véritablement  répondre à cette question. En effet, le concept étant assez récent, nous n’avons pas encore assez de recul pour définir une façon reconnue comme exacte d’utiliser les serious games.
L’enseignant doit aussi savoir à quel moment dans une séquence il désire faire intervenir les jeux sérieux. Une fois l’avoir essayé et avoir jugé de sa pertinence pour un apprentissage, il peut l’employer comme outil d’évaluation.

Cette évaluation peut-être vu selon trois modes différents.

  • Le premier mode est dit diagnostique. Ainsi, les élèves seront dès le début d’une séquence évalués par l’enseignant sur des représentations de savoirs inconnus ou incomplets. Si l’enseignant fait utiliser les jeux sérieux dès le début d’un nouvel apprentissage, il pourra identifier les représentations initiales des élèves, situer leurs niveau de connaissance afin d’éventuellement ajuster son enseignement prévu.
  • Le deuxième mode ou évaluation formative sert à l’enseignant afin qu’il puisse repérer les obstacles et difficultés des élèves, et ainsi de s’adapter en proposant une aide individualisée. Ainsi si il remarque qu’une partie ou la totalité de ses élèves rencontrent des difficultés à un moment du jeu (moment lui même correspondant à une compétence notionnel), il pourra proposer une différenciation plus tard en classe afin de revoir cette compétence.
  • Le troisième mode est l’évaluation sommative. Après que l’enseignant ait ciblé les objectifs notionnels de sa séquence, les jeux sérieux peuvent donner une façon d’opérationnaliser ces objectifs en vérifiant si l’élève a oui ou non acquis les compétences demandées par l’enseignant.

Ex M1

4 thoughts on “Les jeux sérieux : une alternative d’apprentissage intéressante ?

  1. Pierre Fouquemberg-Darras

    Bonjour, très bonne idée traiter la question des jeux sérieux. Est-ce que vous connaissez des jeux sérieux sur le développement durable mais aussi des études qui ont été faites dessus ?

  2. Hélène Gandouin

    Bonsoir,

    Moi qui ne suis pas une grande fan des jeux numériques, j’ai trouvé votre article très intéressant. Vous avez abordé l’intégration de ces jeux en classe. A partir de quel niveau de classe peut-on utiliser ces jeux ? Ont-ils leur place selon vous en maternelle ?

  3. Emilie, Martin, Mathilde, Louise

    Bonjour Hélène,

    Oui, certains professeurs de maternelle utilisent les jeux sérieux pour les enfants âgés de 4 à 6 ans comme les jeux « omnitux » et « Gcompris ». Cependant, il faut adapter le temps d’utilisation de ce dispositif selon les âges.

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