Chapitre 2 – Les SHTIS par et pour les ingénieries : deux contextes de déploiement

Les SHTIS : des instruments au service des ingénieries

Dans le chapitre précédent, nous avons tenté de montrer en quoi la Théorie de l’Action Conjointe en Didactique s’inscrit dans un programme de recherche qui s’appuie sur des outils à la fois théoriques et méthodologiques. Parmi les tenants de ce programme, celui qui consiste à faire vivre des collectifs organisés sous la forme d’ingénieries coopératives va être au centre des propos qui viennent. Ainsi, le présent chapitre a pour objet de décrire la manière dont nos travaux alimentent, questionnent et transforment les lieux collectifs que sont lesdites ingénieries. Pour le dire autrement, nous tentons ici de montrer en quoi nos travaux contribuent modestement à l’institution d’une nouvelle manière de faire de la recherche.

Les SHTIS par et pour les ingénieries

Un fondement : du travail mené « par et pour le collectif »

L’un des traits caractéristiques de nos travaux est qu’ils sont produits dans une démarche collective. Ce fait a plusieurs raisons d’être. Ces raisons d’être sont entremêlées. Parmi ces raisons, notons l’existence de raisons scientifiques, d’une part, qui ont été pour partie expliquées précédemment et qui tiennent à la nature même de l’objectif général que nous poursuivons : concevoir des outils pour penser collectivement des paradigmes. D’autre part, des raisons philosophiques, renvoyant à notre position quant à l’existence d’une puissance d’agir collective. Enfin, des raisons politiques, sur lesquelles nous reviendrons en fin de thèse, et qui ont trait au renouvellement, nécessaire il nous semble, de la manière dont la recherche est produite en sciences de l’éducation. Ce renouvellement passe par le recours à des lieux pluricatégoriels de production de connaissance scientifiques.

Au-delà de ces positions personnelles, nos travaux s’ancrent également dans une littérature scientifique abondante. Nous situons ainsi nos travaux à la suite d’un écrit de Rachelle D. Meyer datant de 2005 qui propose un état de l’art (p. 28) relatif aux recherches menées dans le champ des lessons studies. Dans cet état de l’art, Meyer cite par exemple les travaux princeps de Liping Ma (1999) qui analyse les besoins des enseignants de mathématiques et qui déduit de ses études que les « American teachers are in need of deeper understanding of subject matter ». Dans cette même revue de littérature, Meyer traite également des travaux de Hiebert (1999) qui montre que la « research on teacher learning shows the importance of 16 collaboration among teachers for the purpose of improving lesson planning, student achievement, curriculum and pedagogy, and access to alternative ideas and procedures » (Meyer, 2005, p. 29). La puissance d’agir collective dont nous traitions plus haut apparaît donc ici à la fois comme une fin et comme un besoin exprimé par les professeurs. La poursuite de ce besoin, nous l’exprimions plus haut, passe par le recours à la conception collective de leçon dans des lieux de partage et d’échange créés spécifiquement pour poursuivre des objectifs communs.

Ces lieux pluricatégoriels, nous les nommons, à la suite d’autres (Sensevy, 2011 ; Sensevy, Forest, Quilio & Lefeuvre, 2013 ; Morales, 2013 ; Joffredo, 2016, Morellato, 2017) des ingénieries coopératives. Il s’agit, de collectifs de travail réunissant des personnes aux statuts pluriels, dont l’objectif commun est la conception de séquences d’enseignement-apprentissage. Blocher & Lefeuvre (2017, p. 102) décrivent l’ingénierie coopérative comme un groupe constitué « de professeurs, formateurs et chercheurs. Elle repose sur certains principes, parmi lesquels : (1) l’importance donnée au travail épistémologique et épistémique dans lequel chaque membre du collectif établit un rapport de première main à la source du savoir enseigné, avant même le travail transpositif ». Une fois la séquence conçue par le collectif, un processus itératif s’enclenche (cf. schéma à suivre) : (1) la séquence est mise en œuvre dans un ou plusieurs lieux d’enseignement ; (2) la mise en œuvre recueillie est plongée au cœur du dialogue d’ingénierie, c’est-à-dire collectivement observée, discutée, et analysée, pour (3) donner lieu à des modifications de diverses nature : des renforcements de certains aspects jugés clés dans l’avancée du temps didactique ou des abandons de certains passages dont la vision concrète a révélé certaines failles. La séquence ainsi re-produite est alors de nouveau (2n) mise en œuvre, pour être à nouveau discutée, etc.
Le schéma suivant tente de rendre compte de ce processus itératif.

Figure 58. L’ingénierie à l’œuvre

Nous pouvons, à la suite de Sensevy & Vigot (2016) paraphraser cette représentation en disant que « chercheur et professeur co-élaborent des analyses empiriques, à partir de conceptions rendues communes par une longue expérience partagée de la recherche ». Dans les deux ingénieries à partir desquelles nous allons appuyer nos propos, cette longue expérience est présente. Nous verrons d’ailleurs que ce qui est dit ici du point de vue des possibilités offertes par cette expérience commune, peut également être appréhendé du point de vue des contraintes que cela pose. Notamment, lorsqu’il est question de diffuser le fruit des travaux collectif à l’extérieur du groupe .

Plus récemment encore, le Collectif Didactique Pour Enseigner (CDPE, 2019) a donné le jour à un ouvrage collectif comportant un glossaire. Voici ce qu’il est écrit à l’entrée « ingénierie didactique coopérative » :
« En TACD, une ingénierie coopérative peut se définir comme un collectif de pensée, constitué de professeurs, formateurs, éducateurs, chercheurs, doctorants, etc. qui travaille à l’élaboration conjointe de séquences didactiques, mises en œuvre, évaluées, et mises en œuvre de nouveau à partir de cette évaluation, au sein d’un processus itératif.

Plus généralement, elle renvoie à tout collectif qui se donne à lui-même, de façon coopérative, des fins communes pour l’amélioration de la pratique, et qui expérimente conjointement la pertinence de ces fins au sein de dispositifs concrets, dans un processus itératif.

Une ingénierie coopérative, comme action conjointe, revêt une double fonction. Elle doit permettre 1) de mieux comprendre la pratique, comme toute étude de type anthropologique ; 2) de transformer la pratique en fonction des fins que le collectif de pensée de l’ingénierie s’est données à lui-même.

Dans une ingénierie coopérative, à l’image de ce qui se passe dans toute science de la nature, ces deux fonctions sont consubstantiellement liées : on comprend pour transformer pour comprendre pour transformer, etc.
En TACD, on fait l’hypothèse que le développement d’ingénieries coopératives appellera progressivement à l’élaboration d’une nouvelle épistémologie des sciences de la culture, une épistémologie de l’ascension de l’abstrait au concret*. Ce développement amènera également, toujours selon cette hypothèse, à une redéfinition des professions de professeur et de chercheur en éducation, et plus généralement, à une redéfinition des rapports entre recherche et professions. »

Le lecteur trouvera le SHTIS auquel il est fait référence ci-dessous :

Nous proposons ici de reprendre le schéma précédent (figure 48) et divers éléments de cette définition, ou pour mieux dire ces formules abstraites, pour les concrétiser en une animation qui permettra d’en saisir l’essence. Fidèle à une stratégie à laquelle le lecteur est désormais habitué, les lignes qui suivent constituent une mise à plat du système dynamique en ligne.

Propos oralisés Annotations
Je vais vous parler des ingénieries coopératives…

En première intention, on peut dire d’une ingénierie coopérative que c’est un lieu collectif où des personnes de statuts variés, c’est-à-dire des professeurs, des enseignants-chercheurs, des doctorants, des formateurs, etc. sont réunis pour travailler ensemble.

 

 

 

 

 

 

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Réunis pour travailler ensemble… Très bien mais pour faire quoi exactement ?

Dans la discipline qui nous occupe, celle des sciences de l’éducation et plus particulièrement de la didactique, ses acteurs sont animés par des objectifs communs. Ces objectifs sont (i) d’élaborer conjointement des séquences d’enseignement-apprentissage ; (ii) de mettre en œuvre ces séquences dans les lieux d’éducation associés à l’ingénierie ; (iii) d’évaluer cette mise en œuvre ; (iv) de modifier la séquence puis (v) de la mettre en œuvre à nouveau. L’objectif général du groupe étant d’améliorer les pratiques en se fondant sur leur mise en œuvre effective. Ce processus itératif peut être redécrit à travers le schéma à venir et une nouvelle description associée ?…

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Ce schéma synthétise ce que nous venons de dire à propos de la structuration et de l’objectif d’une ingénierie coopérative telle que nous la définissons. Reprenons-le étape par étape. Voir Figure ci-dessus
Etape 1 : Les membres de l’ingénierie définissent un objet de savoir qu’ils souhaitent voir enseigner et produisent collectivement une séquence d’enseignement. Pour cela, Blocher, c’est moi & Lefeuvre, c’est lui dans un article de 2017, rappellent que chaque membre doit établir un rapport de première main à la source du savoir enseigné. C’est ce qu’ils appellent le travail épistémique de l’ingénierie, c’est-à-dire le travail qui consiste à étudier d’abord pour soi, le savoir à transmettre puis d’éprouver cette appropriation personnelle en se confrontant au travail collectif de ce même savoir. Cette étape est consubstantielle de la production collective de la séquence.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Etape 2 : La séquence est mise en œuvre dans une classe. Cette mise en œuvre se fait dans un lieu qui n’est pas neutre. En effet, ce lieu est très souvent la classe d’un des membres du collectif. Ce paramètre, nous y reviendrons, est crucial pour le bon fonctionnement du processus itératif que le schéma représente. Si l’on anticipe sur l’intitulé de l’étape numéro 3, on voit que la mise en œuvre va faire l’objet d’une analyse. Il faut donc organiser les conditions de réussite de cette analyse en recueillant un ensemble de traces et d’indices donnant à voir et à comprendre ce qui s’est passé pendant la séance. Pour ce qui concerne nos travaux, le recueil de ces obtenus est fondé par la démarche indiciaire, théorisée par Carlo Ginzburg… C’est lui

Ce faisceau de traces et d’indices prend vie autour d’un objet central : le film d’étude comme le nomme Gérard Sensevy dans son ouvrage de 2011) C’est lui et ça c’est l’ouvrage en question.

 

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Etape 3 : L’ensemble des éléments constitutifs du faisceau d’obtenus. On aurait pu dire données mais depuis un article de Bruno Latour… c’est lui et l’article est là… nous plaidons pour l’emploi du terme « obtenu ». Bref, cet ensemble est donc mis à l’épreuve de la coopération au sein de l’ingénierie, c’est-à-dire analysé, discuté, évalué, etc. etc. Parfois, un membre de l’ingénierie conçoit un système qui permet de réunir tous les obtenus en un même espace. Là par exemple, un site web a été créé à cet effet. Parfois même, c’est l’objet de cette thèse, un membre de l’ingénierie crée un système hybrides textes-images-sons, c’est-à-dire un média qui regroupe les obtenus et les fait dialoguer entre-eux. Il n’est pas exclu qu’un jour, cette production d’un SHTIS fasse partie du schéma général de l’ingénierie. On peut même imaginer qu’elle bénéficie d’une partie plus automatisée…  

 

 

 

 

 

 

 

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Mais revenons à notre schéma et passons à l’étape 4.

Etape 4 : La séquence a donc fait l’objet d’une analyse collective. Les fruits de cette analyse peuvent ainsi donner lieu à des modifications. Par modifier, il ne faut pas seulement entendre la correction des dysfonctionnements. Il s’agit également d’accentuer les moments qui paraissent avoir un effet positif sur l’avancée du savoir.

Une fois la séquence modifiée elle est à nouveau mise en œuvre, dans la perspective itérative déjà évoquée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Complexe voire laborieux me direz-vous ?

Oui et non. Certains auteurs de la Théorie de l’Action Conjointe en Didactique « comme le collectif Didactique pour enseigner (DPE) » font l’hypothèse « que le développement d’ingénieries coopératives appellera progressivement à l’élaboration d’une nouvelle épistémologie des sciences de la culture, une épistémologie de l’ascension de l’abstrait au concret. Ce développement amènera également, toujours selon cette hypothèse, à une redéfinition des professions de professeur et de chercheur en éducation, et plus généralement, à une redéfinition des rapports entre recherche et professions ». Ni plus ni moins complexe et laborieux que pour n’importe quelle profession qui se donnerait pour ambition de redéfinir ses rapports avec la recherche produite à son encontre… Ni plus ni moins complexe et laborieux qu’une semi profession à qui l’on donnerait les moyens de devenir une profession… C’est pas moi qui le dis… C’est Yves Chevallard dans une intervention au au titre magnifique « l’échec splendide des IUFM et l’interminable passion du pédant »…

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 Revenons au fonctionnement de l’ingénierie coopérative pour instruire le spectateur d’une dernière dimension essentielle. A mesure que s’opère l’itération, les membres du collectif se créent une culture commune. A mesure que cette culture commune se crée, elle baigne l’ingénierie et son fonctionnement de sorte qu’à terme, elle tend à devenir ce que Ludwig Fleck (c’est lui) nomme « un style de pensée ». Un style de pensée est selon Fleck, une capacité collective à la perception dirigée. Cette capacité, qui se construit sur le long terme, permet au collectif de mieux comprendre la pratique ou en d’autres termes d’en faire l’étude anthropologique. Fort de cette compréhension plus fine, le collectif est à même de transformer la pratique en fonction des fins qu’il s’est données. Par-là, les ingénieries coopératives peuvent être qualifiées de collectif d’enquêteurs, au sens entendu par John Dewey. Ainsi, la multiplication des expériences collectives d’enquête amène le collectif à produire des exemples emblématiques des pratiques qu’il se donne pour mission d’étudier…

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En bout de course, les professeurs par ailleurs membres de l’ingénierie, vous savez ces professeurs chez qui nous allions filmer la mise en œuvre… En bout de course donc ces professeurs sont à même de nourrir leur pratique des exemples emblématiques étudiés collectivement, tout comme ils sont à même de faire vivre une nouvelle enquête d’abord pour eux puis… pourquoi pas, dans de nouveaux collectifs.

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Figure 59. Ingénierie coopérative dîtes vous ? Une mise à plat

Maintenant que le lecteur a une compréhension plus fine de ce qu’est une ingénierie coopérative (c’est du moins l’effet espéré du SHTIS qui vient d’être proposé au visionnage) nous proposons quelques précisions liées à des développements récents de la Théorie de l’Action Conjointe en Didactique. Ces précisions réfèrent également au contenu du SHTIS visionné précédemment.

A l’occasion d’un échange au sujet des conceptualisations récentes développées au sein de la Théorie de l’Action Conjointe en Didactique, Sensevy (2018) déclarait :

« La théorie des ingénieries coopératives, que nous sommes en train d’élaborer collectivement depuis Le sens du savoir, est en appui profond et en convergence dense avec Fleck (collectif et style de pensée), Kuhn (exemple exemplaire), et Dewey (enquête). Cette théorie est produite dans la perspective d’une clinique didactique renouvelée, et travaille intensivement à la fois la question des relations entre professeurs et chercheurs et celle de l’épistémologie, radicalement nouvelle, qui lui est propre ».

La reprise de cet échange et son immersion dans la théorie des SHTIS, théorie que la présente thèse a pour ambition de développer, peut donner lieu à la paraphrase suivante :

La structuration en ingénierie coopérative peut être vue comme équivalente à celle d’un collectif d’enquête, au sens de la TACD, en continuité avec la conception de l’enquête construite par John Dewey . Dans ce collectif, chaque enquêteur (chercheur comme professeur par exemple) développe et partage une analyse selon son propre point de vue (figure 60 ci-dessous).

Figure 60. Un collectif d’enquêteurs

Ce partage collectif permet ce que Ludwik Fleck nomme un style de pensée, c’est-à-dire une capacité collective à la perception dirigée, par l’adoption de normes et d’habitudes d’action collectives, d’une part, et par l’adhésion à une culture partagée, d’autre part.

Ainsi, à mesure que l’enquête s’affine, les traces et indices constitutives du paradigme indiciaire, se précisent, se révèlent ou sont mis de côté (figure 61 ci-dessous).

Figures 61. Un collectif d’enquêteurs capable d’une perception dirigée

In fine, la multiplication des expériences collectives d’enquête amène le collectif à produire des exemples emblématiques des pratiques considérées.
Dans notre collectif, les systèmes hybrides textes-images-sons organisent les conditions favorables au mouvement de perception dirigée. En donnant à voir et à comprendre le faisceau organisé d’obtenus (i.e. les traces et indices), les SHTIS révèlent les énoncés que Foucault (1963) considère à la base des strates constitutives des savoirs liés à une situation. Par-là, les SHTIS constituent des régimes de visibilités (Deleuze, 1986), des machines de mise en évidence.

Nous proposons au lecteur de voir ce texte – les SHTIS révèlent les énoncés que Foucault (1963) considère à la base des strates constitutives des savoirs liés à une situation. Par-là, les SHTIS constituent des régimes de visibilités (Deleuze, 1986), des machines de mise en évidence – comme la formule abstraite de l’analyse du déploiement des SHTIS au sein des ingénieries. Dans l’optique d’exemplifier cette formule abstraite, nous proposons de décrire et d’analyser le déploiement de SHTIS dans deux ingénieries coopérative. L’une, consacrée à l’enseignement des fables à l’école élémentaire, l’autre à la compréhension du nombre à l’école.

Les SHTIS par et pour les ingénieries : deux contextes de déploiement

Premier contexte : l’ingénierie « Fables »

L’ensemble de ce qui suit est issu des travaux d’une ingénierie didactique coopérative. Ces travaux ont déjà été mentionnés dans le chapitre précédent (Chapitre 1). Comme nous l’évoquions dans ce chapitre, une thèse (Lefeuvre, 2018) porte précisément sur l’analyse de la séquence produite par l’ingénierie. Au risque de paraître redondant, nous recommandons une fois encore au lecteur de se reporter à ce travail pour bénéficier de l’étude précise qu’y a mené Lefeuvre. Le lecteur pourra y retrouver l’analyse didactique, à l’aune des concepts issus de la Théorie de l’Action Conjointe en Didactique, de la séquence dans son ensemble. Lefeuvre y rend également compte du travail épistémique de l’ingénierie.

Le travail de l’ingénierie à l’initiative de la séquence

L’ingénierie coopérative dont il est question ici est active depuis 2008. L’objet qui anime ce collectif est l’enseignement des fables à l’école. Lefeuvre (2018), s’appuyant sur les travaux de Citton décrit ce collectif comme une « communauté interprétative de lecture de fables avec son style de pensée forgé au fil des années ». Comme l’auteur le précise, cette structuration en communauté interprétative permet notamment de créer des habitudes de travail, relativement à l’interprétation des textes. Ces habitudes – Lefeuvre en raconte près de dix ans d’histoire –, s’actualisent en se voyant plongées dans des incidents critiques conduisant le collectif à voir la séquence initialement produite différemment.

Par exemple, comme le décrit Lefeuvre (Ibid.), la séquence initialement produite en 2010 a subi plusieurs actualisations (2012, 2013, 2014) notamment du point de vue de la paraphrase du ver final . L’auteur (Ibid.) explique par exemple qu’en 2013, l’un des membres de l’ingénierie est conduit à lire la fable au regard du droit. Cette nouvelle lecture conduit le membre en question à émettre de nouvelles hypothèses interprétatives. Ces hypothèses seront peu à peu admises par le collectif et la séquence d’enseignement s’en verra mise à jour. Ces versions de la séquence ont été analysées par le collectif afin de produire des améliorations successives, tel que la figure 49 ci-avant présentée l’illustre.

La dynamique du travail épistémique au sein de l’ingénierie

Lefeuvre (Ibid.) consacre un chapitre de son travail doctoral au récit et à l’analyse du travail épistémique des membres de l’ingénierie, travail qui a conduit à l’élaboration de la séquence telle qu’elle existe à ce jour. Ce travail épistémique per-se, que Lefeuvre décrit comme le geste du professeur qui « étudie pour lui-même le savoir à enseigner » (Ibid. p. x), résulte d’un double mouvement de potentialisation/actualisation et de savantisation/essentialisation (Lefeuvre, 2008, 2011). Pour illustrer cela et dans l’optique d’une ascension de l’abstrait au concret, Lefeuvre propose une étude de cas relative à l’incident critique que nous décrivions précédemment (relire la fable au regard des travaux de juristes sur le droit au 17e siècle). Il montre ainsi comment le travail épistémique, au sein du collectif, amène la communauté à essentialiser les savoirs produits sous la forme d’essentiels à enseigner. In fine, les savoirs se voient actualisés au sein du dispositif didactique. La figure à suivre, inspirée de Lefeuvre (2018) montre comment « un savoir per se sur la fable, est essentialisé puis actualisé au sein d’un dispositif » :

Figure 62. Reprise partielle de Lefeuvre 2018. : Étape 1 du schéma 4 montrant les étapes du travail épistémique lié à l’étude de cas

Nous proposons de nous inspirer de ce modèle. Cette reprise permettra de rendre compte de la dynamique du travail d’ingénierie à l’échelle macroscopique (ce que fait précisément Lefeuvre) et à l’échelle microscopique (ce que nous tenterons de faire tout aussi précisément). Nous verrons notamment en quoi les SHTIS, par leurs effets sur le dialogue d’ingénierie, peuvent conduire à une modification sensible du dispositif de conception ingénierique. En d’autres termes, nous démontrerons comment un SHTIS déployé au sein d’une ingénierie telle que l’ingénierie « Fables » a pu permettre une mise à jour des savoirs, voire une reprise du travail épistémique avant nouvelle mise en œuvre – une actualisation. Le lecteur a déjà eu accès à certains éléments issus du travail mené avec l’ingénierie sus-nommée (cf chapitre 1, p. au sujet de la pensée par contrefactuels). Les obtenus qui seront au cœur de notre analyse font partie de la même séquence d’enseignement. Ils interviennent quelques minutes avant le passage où les élèves et le professeur discutent du mot « onde » et de sa paraphrase. Le moment précis qui fondera notre analyse est celui où les élèves ont à paraphraser le tout premier ver de la fable « Le loup et l’agneau » : « un agneau se désaltérait ». Le lecteur pourra se reporter au SHTIS suivant pour consulter l’intégralité de la séance :


La séquence et ses séances constitutives

La séquence à partir de laquelle nous avons conçu différentes générations de SHTIS est constituée de seize séances en classe de CM2. La version qui sert notre travail résulte des actualisations successives dont nous précisions le processus dans le paragraphe précédent (cf figure 62 reprise de Lefeuvre 2018). On l’a vu cette séquence de seize séances massées sur quatre semaines s’appuie sur l’étude d’une Fable de La Fontaine, » le loup et l’agneau ». Il s’agit pour le professeur d’amener les élèves à en paraphraser le contenu. D’abord pour soi, puis à l’échelle du groupe classe.

Dans leur travail de conception, les membres de l’ingénierie définissent la séquence comme suit :
Cette séquence d’enseignement s’adresse aux élèves de CE ou de CM. Elle développe 16 séances d’apprentissage plus une séance d’évaluation sur les savoirs enseignés en fin de séquence. Chaque professeur pourra, s’il le souhaite, moduler et adapter cette séquence à son niveau de classe (cf. les parcours). Nous conseillons au professeur de conduire un enseignement de cette séquence, massé sur 3 à 4 semaines, ce qui facilite grandement la compréhension de la fable par les élèves et la ritualisation de certaines formes de travail mises en place.

Cette séquence développe l’enseignement d’une compréhension d’une fable (d’une œuvre littéraire), occasion d’un travail oral conséquent basé sur l’argumentation et la confrontation des points de vue en lien avec des activités de production d’écrits (intermédiaires) des élèves. Elle s’inscrit aussi pleinement dans le champ de l’éducation morale et civique. Elle recourt à des modalités de travail articulant activités individuelles, de groupes, et de mises en commun au niveau du collectif classe.

Nous proposons au total huit parcours d’enseignement possibles de cette séquence. Ils sont tous basés sur un tronc commun composé de 10 séances : les séances 1 à 9 (travail de compréhension du récit), la séance 14 (travail de compréhension de la morale). La séance d’évaluation des apprentissages termine toujours la séquence quel que soit le parcours. Le professeur, en fonction de la connaissance de ses élèves, de leur niveau de classe, de son souhait d’approfondissement des savoirs en jeu, peut décider de compléter ce tronc commun par différentes options : conduire les séances 10 et 11 (travail spécifique sur la signification du mot « procès) , et/ou conduire la séance 12 (travail spécifique d’une analogie entre la fable et une situation de vie d’élèves), et/ou conduire la séance 13 (débat sur les intentions du loup), et/ou conduire les séances 15 et 16 (séance d’approfondissement de la morale).

Figure 63. Extrait du document extrait du parcours M@gistère « enseigner les fables de la Fontaine » : Ressource n° 8- synopsis général de la séquence d’enseignement

Le schéma suivant (figure 64), donne un aperçu du contenu de chaque séance :

Figure 64. Vue synoptique de la séquence intégrale

Ici, on peut remarquer que les séances deux à dix ont une structure semblable. Dans cet empan, les séances successives sont appariées. Par exemple, la séance deux, consiste notamment à conduire les élèves à paraphraser les premiers vers de la fable. Le professeur est alors en mesure de sélectionner les paraphrases qui seront discutées lors de la séance trois. Dans cette séance trois, les élèves sont amenés à se positionner par rapport à la compilation effectuée par le professeur. A l’issue de cette séance, les premiers vers de la fable sont assortis d’une paraphrase institutionnalisée par le groupe classe.
Les séances six et sept entretiennent les mêmes relations : (i) travail d’une portion de la fable à partir d’une sélection proposée par le professeur puis (ii) stabilisation collective d’une paraphrase de classe.
Les séances suivantes, jusqu’à la douzième non incluse, procèdent de la même logique.

La séance douze, quant à elle, initie un nouveau type d’activité : les élèves sont confrontés à la reconstitution d’un procès « réel ». Ils engagent alors, avec le professeur, un travail d’analogie entre l’apparente justice rendue dans le cadre de la fable et l’expérience du procès réel qu’ils viennent de vivre. L’analogie se voit étendue à l’occasion de la séance 14 où les élèves travaillent sur une situation fictive d’injustice dans une cour d’école.
Enfin, les deux dernières séances sont consacrées à une forme de généralisation des enseignements de la fable. Cette généralisation a pour fonction une « meilleure compréhension du monde ».

La séance numéro 3 : un agneau se désaltérait

Nous avons axé notre travail de réflexion sur une séance jugée clé par les membres du collectif, lorsque ils ont conçu la séquence. La position de charnière de la séance en question se vérifiera d’ailleurs au moment de la mise en œuvre, dans les deux classes enseignées. Il s’agit de la séance numéro trois, qui initie le travail de élèves sur la paraphrase du texte de Lafontaine. Si cette séance est décrite par les membres de l’ingénierie comme sensible, c’est qu’elle constitue la première séance où les élèves vont devoir s’accorder pour concevoir la paraphrase de classe.

A ce titre, cette séance initie des habitudes de travail, habitudes récurrentes jusqu’à la séance dix. En d’autres termes, cette séance est la première où le contrat didactique dit « de paraphrase » est mis en jeu. C’est aussi la séance durant laquelle, pour jouer à ce jeu de paraphrase, les élèves vont être confrontés à un milieu particulier. Ce milieu sera décrit plus loin mais le lecteur l’a déjà côtoyé lors du chapitre précédent lorsqu’il a été fait allusion à la pensée par contrefactuels (voir chapitre 1, dernière partie).
Comme nous l’évoquions précédemment, notre analyse va porter sur la paraphrase du vers « un agneau se désaltérait ». Lors de la conception de la séance par les membres de l’ingénierie, le passage à paraphraser n’a pas suscité de réflexion particulière quant à la nature spécifique des gestes d’enseignement à produire. Le document édité pour accompagner la présentation d’une première version d’un parcours M@gistère ayant pour objet l’enseignement de la séquence ne pointe d’ailleurs aucun nœud de compréhension ou aucun élément susceptible de devoir être expliqué par le professeur.

La séance est donc jugée clé, mais le passage qui concerne notre analyse semble anodin. Pour le dire autrement, lors du processus repris de Lefeuvre (ibidem) en figure 52 (essentialisation/actualisation) aucun membre de l’ingénierie n’a jugé le vers problématique. Cela peut s’expliquer en particulier par le fait que le travail épistémique de l’ingénierie est opéré dans certains cas à une échelle relativement macroscopique (à l’échelle de la séance). La traduction des différentes actualisations dans le document synoptique de la séance 3 conçu pour le parcours M@gistère en est le reflet.

Pourtant – le lecteur en a déjà peut-être l’intuition à la lecture du SHTIS relatif à la séance 3 – la séance 3 et l’analyse qui va en être faite à l’échelle de l’ingénierie va engendrer une nouvelle essentialisation et laisse présager une nouvelle actualisation au sein d’un dispositif remanié. Cette nouvelle essentialisation, nous tenterons de le démontrer, est permise par la concrétisation de la mise en œuvre que permet le déploiement du SHTIS au sein de l’ingénierie. Cette concrétisation permise par le déploiement du SHTIS relève d’une forme d’ancrage dans le réel. Le schéma suivant propose une variation inspirée des travaux de Lefeuvre (ibid.).

Figure 65. Les SHTIS comme outil de concrétisation des savoirs en jeu en situation

Avant de donner précisément à voir et à comprendre au lecteur en quoi le SHTIS permet d’incarner les savoirs en jeu et d’augmenter le dialogue de l’ingénierie, poursuivons notre entreprise de familiarisation. La partie à venir consiste à donner le modus operandi qui a été le nôtre lorsqu’il s’est agi de concevoir des SHTIS pour l’ingénierie « Fables ».

Modus operandi : prise de vues, prise de sons et recueils des traces

Notre travail a consisté à recueillir la mise en œuvre de la séquence dans deux classes de CM1. Au total ce sont trente-deux séances qui ont été filmées et pour lesquelles nous nous sommes attachés à recueillir les faisceaux de traces et d’indices, au regard de la démarche indiciaire qui a motivé l’écriture d’une précédente section dans cette thèse (voir le chapitre inaugural). Pour cela, deux caméras ont été déployées, l’une fixe, sur pied, l’autre mobile, au poignet. Ce type de protocole est détaillé par Veillard (2013) dans un chapitre dédié au « méthodologies de constitution et d’analyse des enregistrements vidéo ». L’illustration à venir, extraite de ce chapitre, modélise la manière dont les deux caméras interagissent :

Figure 66. Reprise de Veillard, 2013 (figure 3. dispositif mobile)

Ici, la caméra fixe, sur pied, filme en plan large une majeure partie du temps (des zooms peuvent être produits pour préciser des états du tableau par exemple). La caméra mobile quant à elle permet de s’approcher au plus près des interactions entre élèves. Concrètement, les photogrammes suivants permettent de se rendre compte du type de plan en fonction de la caméra mobilisée :
Photogramme extrait de la caméra fixe
Photogramme extrait de la caméra mobile

Figure 67. Le rapport fixe/mobile : question de point de vue

Les productions d’élèves et les ressources du professeur ont été systématiquement scannées ou photographiées. L’ensemble a fait l’objet d’une mise en ligne sur un serveur sécurisé. Chaque membre de l’ingénierie disposait d’un identifiant et d’un mot de passe et pouvait à loisir visualiser ou télécharger les films d’étude. Le tout (obtenus filmés, travaux d’élèves et documents utiles pour l’élève et le professeur) ayant été agencé sur le serveur à la manière d’un site web (cf figure 68 ci-dessous) :

Figure 68. L’interface donnant à voir l’ensemble des traces et indices obtenus suite aux recueils vidéo des séances

Malgré cette interface, qui constitue déjà une ressource relativement inédite au sein des ingénieries coopératives et qui permet à chaque membre de prendre connaissance en un seul et même espace des ressources relatives à la séquence d’enseignement, il nous a paru utile de concevoir des SHTIS à partir du faisceau d’obtenus décrit précédemment. Les objectifs qui nous guident dans cette entreprise, sont pluriels. Il s’agit (i) de faciliter l’accès aux obtenus de manière générale, (ii) de synchroniser différents obtenus entre-eux, c’est-à-dire de créer un système d’annotations réciproques, (iii) d’alimenter l’enquête des membres de l’ingénierie en fournissant l’ensemble des indices à notre disposition, (iv) de créer un espace compilant les SHTIS relatifs à l’ensemble des séances filmées.

A l’occasion d’un article récent, Blocher & Lefeuvre (2017) font état de la manière dont les SHTIS amenés à être déployés dans l’ingénierie « Fables » ont été conçus. Les auteurs précisent un ensemble d’éléments techniques qu’il est bien entendu possible de retrouver dans la section idoine (Blocher & Lefeuvre, p. 10-17). Toutefois, en marge de cet article, Blocher, Lefeuvre & Sensevy ont produit un média dynamique reprenant ces aspects. Ce média peut être consulté ici :

Les auteurs poursuivent notamment leur article en montrant en quoi les systèmes hybrides produits participent à ce que Sensevy (2011) nomme « la mise en intrigue ». Ils expliquent en quoi le « montage narratif » (Blocher & Lefeuvre, 2017, p. 20) qu’ils opèrent est à la base de la mise en intrigue didactique grâce aux connexions établies entre des évènements et des documents, d’une part, mais également entre des systèmes d’évènements-documents synchronisés et mis en lien, d’autre part. Leur démonstration les conduit à mettre en vis à vis deux illustrations. La première donnant à voir un photogramme du film d’étude brut, la seconde donnant à voir l’équivalent traité sous la forme d’un SHTIS. « L’augmentation du film brut » paraît tout de suite extrêmement fertile dans la compréhension possible que l’on peut se faire de la situation. Voici cette mise en vis-à-vis :

Figure 69. Ce que donne à voir le film brut à 00 :32’43’16

Figure 69bis. Ce que donne à voir et à comprendre le film brut traité comme un SHTIS à 00 :32 :43 :16

Dans cet exemple, il s’est agi de mettre en relation l’action conjointe du professeur et des élèves avec des éléments nourriciers de cette action conjointe. Ici par exemple cet ancrage se fait au moyen d’une frise synoptique qui replace le moment dans la chronologie générale de la séance (au-dessus de la vidéo). Nous avons également synchronisé le film avec l’apparition d’un document, le tableau Paraphrase-Texte-commentaire, utilisé deux séances auparavant par les élèves et le professeur (au-dessous de la vidéo). Cette synchronisation, ou en d’autres termes, le fait de lier deux évènements chronologiquement distants participe de ce que nous nommions précédemment, à la suite de Sensevy (2011) et de Blocher & Lefeuvre (2017), la « mise en intrigue didactique ». Enfin, nous avons fait apparaître la transcription verbatim des échanges à mesure que les propos sont entendus (à gauche de la vidéo). Il ne s’agit pas de proposer au lecteur de lire et d’entendre en même temps mais de lui permettre de conserver la mémoire immédiate de ce qui vient d’être dit si le lecteur était amené à mettre le média en pause .
Le SHTIS a donc été déployé au sein de l’ingénierie en amont et pendant une réunion du groupe de recherche. C’est précisément ce déploiement et les effets de ce déploiement qui vont inspirer les lignes à venir.
Une étude de cas relatif à la séance 3 : un agneau buvait… vs un agneau calmait sa soif

Il s’agit ici de rendre compte des effets du déploiement du SHTIS dans l’ingénierie. Donner à voir et à comprendre ces effets doit nous permettre de justifier en quoi nous disons que le SHTIS est un instrument d’incarnation des savoirs essentialisés par l’ingénierie (voir figure 50). Nous allons procéder en deux temps. Un premier qui consistera à décrire les partis pris éditoriaux qui ont été les nôtres à l’occasion de la conception du SHTIS. Un second qui rendra compte des effets que le SHTIS semble avoir eu sur les membres de l’ingénierie à l’occasion d’une réunion de travail et in fine sur une modification substantielle de la séance.

Motifs

Pour mémoire, la séance numéro trois intervient après que les élèves ont paraphrasé la fable avec leurs mots à l’occasion d’un travail de groupe durant la séance deux. Durant la séance une et la séance deux, les élèves ont pris connaissance du climat général de la fable (écoute de la fable jouée par des artistes professionnels). Ils ont également repéré les personnages (le loup, l’agneau, le narrateur), ainsi que leur position au début de l’histoire, relativement au ruisseau (notion d’amont et d’aval en fonction du courant) . Puis, les élèves se sont livrés à un travail de groupe en vue de produire la paraphrase intégrale de la fable. En fin de séance deux, le professeur dispose des paraphrases de groupe à partir desquelles il va opérer une sélection en vue d’une discussion collective.

Cette description est visible sur le SHTIS projeté en réunion. Le lecteur est invité à visionner l’extrait allant de 00 :14 :16 à 00 :15 :15 du SHTIS qu’il trouvera ci-dessous :

Cet extrait montre en premier lieu comment la mise en pause du film d’étude, permet l’adjonction d’un témoignage sonore à visée explicative ainsi que l’apparition d’un document de référence :

Figure 70. Un premier élément de compréhension du processus de choix des paraphrases de groupe par le professeur

Ce faisant, les membres de l’ingénierie sont directement informés de l’appui des élèves sur le texte de Phèdre, dès la séance 2, grâce à la mise en vis-à-vis de ce texte source dans ce que l’on pourrait qualifier d’espace d’annotation . Cet effet permet en quelque sorte de corroborer leur souvenir quant à l’existence de cette ressource au moment où la scène déroule. Le fait de raviver des ressources d’arrière-plan était précisément notre intention lorsque nous avons scénarisé cet effet.

Quelques minutes plus tard interviennent les quatre paraphrases sélectionnées par le professeur et le résultat reconstitué de l’activité de surlignage par les élèves. Ce faisant, nous avons souhaité mettre à disposition des membres de l’ingénierie une reconstitution de la vue du tableau numérique pour pallier sa qualité insuffisante. La figure suivante (figure 71) donne à voir la vue ainsi créée.

Figure 71. Le SHTIS à 00 :30 :31 :15 : une reconstitution

Le SHTIS proposait également le verbatim des échanges synchronisé à ce qui était effectivement dit dans le film d’étude. Cet effet, nous l’évoquions précédemment, a pour objectif principal de permettre un accès à la mémoire immédiate de ce qui vient de se passer dans la vidéo. En effet le verbatim généré permet une fois le SHTIS mis en pause, de consulter directement jusqu’à 3 minutes d’échanges. De la sorte, l’annotation de la vidéo (image et son) par le texte est opérée a posteriori, ce type d’annotation pouvant être rapproché d’un effet d’écho. Cet effet est d’autant plus fort que la vidéo permet le retour arrière, et en quelque sorte une mise en abîme de l’écho. C’est du moins l’hypothèse que nous faisions au moment où nous conçûmes le SHTIS. Par exemple, si le lecteur choisit de mettre le SHTIS en pause pour prendre connaissance des paraphrases de groupe qui apparaissent dans la partie de droite de la figure 71, il conserve la trace des échanges entre le professeur et les élèves.

Les effets du SHTIS sur l’ingénierie : une usine à contrefactuels

Matériaux et éléments de contexte

Les lignes qui suivent prennent appui sur un document édité à l’issue d’une réunion de travail de l’ingénierie. Cette réunion a eu lieu en avril 2016 et a fait l’objet d’un enregistrement et d’une transcription. La transcription a ensuite été reprise et chapitrée. Nous remercions vivement l’auteur de ce document, Loïs Lefeuvre. Le passage qui nous intéresse précisément ici est entouré en rouge sur la figure ci-dessous (figure 72)

Figure 72. Table des matières du compte rendu de la réunion d’avril 2016

La réunion se tient dans une salle équipée d’un ordinateur et d’un téléviseur. Le SHTIS support de la discussion est projeté sur l’écran et un membre de l’ingénierie s’occupe de lancer la vidéo et de la mettre en pause. La figure suivante (figure 73) rend compte de cette modalité d’organisation :

Figure 73. Un agencement type d’une salle de réunion. L’image représente une vue de type champ/contre-champ.

Pour lever toute ambiguïté, il est important d’insister sur le fait que nos travaux n’ont pas consisté à évaluer les effets du SHTIS sur l’ingénierie. Une évaluation de la sorte, nous y reviendrons dans la section dédiée à l’évocation des perspectives, nous apparaît comme très complexe à réaliser. En effet, la densité des échanges des réunions est telle que nous ne voyons pas la place que pourrait prendre une évaluation in situ. La solution d’un entretien de type auto-analyse reste envisageable mais n’a à ce jour pas été réalisée. Dans les faits donc, les matériaux sur lesquels nous nous appuyons pour juger des effets du déploiement du SHTIS sur la dynamique de l’ingénierie ont donc parfois statut de conjecture. Le degré de « subjectivité » de nos propos est donc réel mais ne nous semble pas abusif. Les conjectures que nous pourrons ainsi élaborer prennent appui sur des échanges oraux, et sur certaines réunions que nous n’avons pas pu filmer. D’une certaine manière, ils sont probablement, de ce point de vue, tout aussi bien ancrés dans la réalité de la pratique de l’ingénierie que certaines assertions qui ne prendraient appui que sur des évaluations chiffrées et des analyses d’impacts, et comme telles non garanties du point de vue de la pratique (Koschmann, 2011). Nous reviendrons sur ce point à l’occasion de la partie synthèse et perspectives lorsque nous aborderons la question de la preuve.

Cet aspect de notre travail ayant été précisé, entrons dans le vif du sujet. Pour cela, nous invitons le lecteur à visionner l’extrait du SHTIS suivant allant de 00 :43 :00 :18 à 00 :52 :59 :12.

Les 9 minutes de cet extrait, visionnées lors de la réunion, permettent aux membres de l’ingénierie d’approfondir l’idée qu’ils se font de la situation. Si l’on ajoute à ces minutes les 40 premières minutes de la vidéo et les mois de travail qui ont permis la conception de la séance, on parvient à définir un arrière-plan collectif. Cet arrière-plan est à la fois constitué de références concrètes à des documents existant (les outils mentionnés tels que le tableau PTC, le texte de la fable de Phèdre, les productions des élèves, les paraphrases sur lesquelles ce travail est fondé, etc.) mais il est également le fruit de l’étude du savoir pour soi, qui a précédé la phase de conception de la séquence d’enseignement. Qu’est-ce que le SHTIS apporte de plus à cet arrière-plan apparemment déjà partagé ?

En premier lieu, le SHTIS permet de passer d’un arrière-plan labile, voire fuyant (le souvenir souvent imprécis d’un passage du texte de Phèdre, comme le souvenir évanescent d’un commentaire issu d’un autre recueil) à un arrière-plan plus ancré. Par exemple, dans l’extrait qui nous occupe, au temps 00 :43 :32 :26, l’apparition des travaux de surlignage tels qu’ils viennent d’être menés par les élèves permet de raviver hic et nunc l’état du travail accompli près de 20 minutes auparavant. La figure (figure 74) à suivre fait état de cette référence :

Figure 74. Les SHTIS comme outil d’ancrage d’un arrière-plan dans une expérience récente

Dans la figure 74 ci-dessus, on imagine aisément le lecteur mettre le système en pause une fois que le professeur a donné la consigne du prochain temps (ici, discussion collective du choix de la paraphrase), pour se remémorer les portions qui ont fait l’objet d’un travail préalable.

Le SHTIS permet également, comme nous l’avions expliqué plus haut et comme nous venons de le dire, des mises en pauses, des retours en arrière. Sensevy (2013) évoque l’intérêt d’un tel usage :
« […] le film d’étude, tel qu’on peut le pratiquer dans la recherche, possède une différence décisive avec le documentaire classique, qui prolonge son efficacité. En effet, tout en étant dans un rapport d’analogie à la réalité, il permet de la manipuler : retour en arrière, ralenti, accéléré, zoom, passage maintes fois répété d’une courte séquence ».

Mais une différence entre le film d’étude et le SHTIS vient encore augmenter l’efficacité de cette manipulation fondée sur certaines analogies à la réalité : le SHTIS permet l’annotation réciproque de l’image et du texte. Par ailleurs, comme nous l’évoquions précédemment, une mise en pause du système permet de conserver la mémoire de ce qui a été dit jusqu’à 3 minutes auparavant.
En situation de visionnage collectif, cette fonctionnalité du SHTIS semble essentielle. Elle est d’ailleurs systématiquement à l’œuvre lorsque le travail de l’ingénierie consiste à étudier collectivement une séance mise en œuvre. La figure suivante (voir figure 75 ci-dessous) rend compte de ce que permet l’arrêt sur image et le recours au seul texte. Le lecteur peut faire l’expérience de visionner l’extrait allant de 00 :43 :00 :18 à 00 :45 :32 :21, de mettre le SHTIS en pause et de masquer la vidéo. Une fois la vidéo masquée, le lecteur pourra essayer de se remémorer les enseignements qu’il vient de tirer de l’extrait. Puis dans un second temps, il pourra procéder au même exercice en consultant le SHTIS mis en pause. Pour rendre le jeu plus facile, nous avons procédé à l’extraction du morceau considéré. Ce morceau du SHTIS est consultable ici :

Figure 75. Les SHTIS mis en pause et l’accès immédiat à ce qui vient de se produire en situation

La figure 75 ci-dessus fait montre des échanges qui ont conduits les élèves à ne pas valider l’expression « calmait sa soif » pour paraphraser la portion de vers « se désaltérait ». Lors de l’analyse collective de ce passage, l’extrait a d’abord été visionné une première fois. Cette première expérience, dynamique, avec l’extrait, a permis aux membres du collectif d’appréhender de manière générale ce qui se jouait dans ledit extrait. A la suite du visionnage, un temps de lecture de la portion de transcript restée accessible a eu lieu. Ces deux temps – dynamique d’abord, de lecture ensuite – sont de nature à augmenter la compréhension globale que l’on peut se faire de la situation étudiée d’une part, et à susciter davantage de dialogue au sein de l’ingénierie que ne l’aurait fait l’une ou l’autre des seules phase – dynamique ou de lecture.

Maintenant que le lecteur sait de quelle manière le SHTIS est déployé dans l’ingénierie, d’une part, et quels effets il génère potentiellement sur le dialogue du collectif, d’autre part, attachons-nous à décrire la manière dont l’analyse de la séance par les membres de ladite ingénierie a conduit à la modification substantielle de la séquence dans son ensemble.

Genèse d’une actualisation : un agneau calmait sa soif…

Le collectif vient donc de visionner une succession d’extraits de SHTIS. Ces visionnages successifs permettent de penser que chaque membre est au fait de ce qui est attendu des élèves au moment de l’exercice de sélection de paraphrase, mais aussi de quelles ressources élèves et professeurs disposent pour résoudre le problème qui leur est posé.
Un premier commentaire extrait de la transcription de la réunion peut retenir notre attention :

GS : mais là dans la séance il y a beaucoup de discussion extrêmement riches et profondes qui montrent qu’ils sont bien conscients du travail sur la langue et sur la compréhension. Pour moi c’est important de le remarquer. Il y a vraiment un travail très dense et de très grande qualité. Même si à certains moments ils sont à côté, il sort des choses des idées et de la réflexion sur la langue.

Pour le commentateur, la densité des échanges entre les élèves au sujet des deux premiers vers est remarquable. Ce commentaire fait saisir qu’il n’était pas prévu, dans la séquence produite dans l’ingénierie coopérative, que la production collective d’une paraphrase des deux premiers vers soit aussi complexe. Cela initie quelque part le fait que dans cette séance se jouent des phénomènes particuliers auxquels il va falloir prêter attention.
Plus tard, un second commentaire retient notre attention. Cette fois-ci il consiste à porter un regard spécifique sur l’activité de production de la paraphrase et plus spécifiquement encore sur l’opportunité de retenir l’expression « calmer sa soif » pour paraphraser le morceau de vers « se désaltérait » :

Loïs : on va pouvoir voir comment la mise en place de la paraphrase se fait. Elle ne se fait pas sur 30 secondes, elle se fait sur une heure et demie ou deux heures de travail pour faire comprendre progressivement ce qu’est la paraphrase. Et là on peut se demander si la formulation est le plus proche possible du texte, la première fois que Isabelle utilise cette formulation-là ne va pas expliquer pourquoi certains vont tenir après à parler comme La Fontaine, un effet de contrat en fait. « Calmer sa soif » ça fait mieux que « buvait ». Je dis que je comprends mais c’est plus proche de La Fontaine donc je respecte peut-être la consigne. On voit bien que tous ces éléments vont feuilleter-là vont compter.

Cet extrait montre notamment la manière dont l’expression « calmait sa soif » a pu faire sens pour l’un des membres de l’ingénierie (Loïs) et comment ce membre propose d’en tenir compte.

Nous pouvons également noter l’apparition du terme de « contrat » en référence à ce que les membres de l’ingénierie ont nommé « contrat de paraphrase » lors de la traduction de la séquence d’enseignement en parcours de formation M@gistère. Le contrat initial de paraphrase peut trouver son essence dans le texte produit par l’ingénierie dans le cadre du parcours M@gistere « enseigner les fables de La Fontaine » :

La caractéristique de l’activité de paraphrase consiste bien à réécrire un texte-source. Lorsque l’on paraphrase, un texte pour écrire/dire la même chose autrement, on se livre nécessairement à tout un travail de « parenté sémantique » (Fuchs, 1994) des expressions et des énoncés du texte-source. Il faut alors identifier et respecter les choix énonciatifs de l’auteur, maintenir la trame narrative du récit, s’efforcer de chercher le mot et l’expression qui nuancent le caractère des personnages, choisir la tournure qui renforce les intentions des personnages, mais aussi celles de l’auteur, etc. ».

Dans un chapitre d’ouvrage, Blocher, Lefeuvre & Maisonneuve (2019) consacrent une partie de leur récit à définir les dimensions constitutives du contrat initial de paraphrase. Ils se livrent eux-mêmes, en quelque sorte, à une paraphrase du texte ci-dessus et produisent une version fonctionnelle dudit contrat : « paraphraser ce sont sept dimensions : (1) réécrire la fable de la Fontaine, (2) avec des mots connus des élèves, (3) sans nécessité de changer tous les mots de la fable. C’est (4) une traduction, (5) vers par vers. L’activité de paraphrase peut enfin nécessiter (6) de rechercher dans le dictionnaire les mots difficiles, complexes, inconnus des élèves. Le recours au texte de Phèdre pour paraphraser est également possible (7) » (Ibid.). Cette version est celle qui est instituée entre le professeur et les élèves dès la séance 2. A ce titre, elle fait doublement partie de l’arrière-plan des membres de l’ingénierie : du fait de sa conception collective au niveau de la séquence ; du fait qu’elle est une traduction d’une ressource produite pour le parcours m@gistère.
Ce double procédé de production d’un texte de synthèse à la fois pour l’ingénierie (contrat à sept dimensions) et pour l’extérieur (texte général pour le parcours m@gistère) nous semble l’une des étapes essentielle à la caractérisation du style de pensée de l’ingénierie. Il en est à la fois une condition et un produit. Ici, le rôle supposé du SHTIS est d’incarner les deux documents produits dans un morceau de pratique. Pour le dire autrement, le SHTIS illustre la manière dont le contrat de paraphrase, produit du dialogue d’ingénierie, est mis en acte in situ.

Dans l’exemple qui nous occupe (la paraphrase du premier vers : un agneau se désaltérait), une dimension imprévue du contrat de paraphrase semble apparaître. L’échange suivant extrait du verbatim de la réunion visant à étudier collectivement la séance 3 nous semble initier cette apparition :

GS : là c’est un travail de paraphrase donc tu as tout le travail du professeur pour inciter et c’est pour ça que la comparaison est complètement essentielle. Par la comparaison on va percevoir que, l’exemple qui va venir après, l’exemple de calmait sa soif est excellent. Pour le dire en un mot, on voit qu’il y a des moyens d’arriver à la paraphrase. On peut très largement dire qu’une paraphrase qui utilise calmait la soif c’est meilleur qu’une paraphrase qui utilise buvait. Et ça les élèves sont à même de l’apprécier au bout d’un moment et c’est meilleur à plein de niveaux différents.

S’en suit alors un échange qui prend la forme d’une controverse et qui démontre la tension qui peut exister à l’intérieur des ingénieries. Cette tension s’anime entre la référence à des ressources produites et stabilisées collectivement – ressources dont nous rappelons qu’elles constituent une forme d’incarnation du style de pensée de l’ingénierie – et la manière dont les ressources prennent sens et prennent vie en situation. L’échange en question est le suivant :

LL : par contre, effectivement il faut que nous soyons plus clairs pour savoir quand est ce qu’on va aller influencer la conduite des choses pour prendre plutôt « calmait sa soif » que « buvait », parce qu’au niveau d’une compréhension des élèves buvait fait l’unanimité ; au niveau d’une écriture plus proche et plus subtile calmait sa soif conviendrait mieux pour paraphraser se désaltérait, et en même temps c’est buvait qui va être retenu.
LM : on pourrait aussi avoir buvait pour calmer sa soif
MV : oui calmait sa soif c’est plaisant mais là on construit le sens de la fable. Donc buvait ou calmait sa soif sur les signifiants de la fable c’est pas…
BS : c’est pas un enjeu majeur !
MV : oui c’est ça. Merci
MB : oui mais c’est vrai que, je vois dans ma classe il y avait eu pas mal de discussion, le choix qu’a fait la classe moi je trouvais que c’était pas le meilleur choix mais après il y un moment où on le dit avec nos mots, ils sont d’accord dessus donc on y va mais… Moi j’étais plus pour si buvait convenait à tout le monde on prenait buvait puisque moi j’étais dans l’objectif de compréhension
GS : je suis radicalement pas d’accord.
IM : Parce que ?
GS : parce qu’on est là pour leur apprendre des choses et s’ils sont 500 000 à dire des bêtises
MB : ah oui je suis d’accord. Ben non évidemment. Mais paraphraser avec vos mots, buvait ça traduit bien La Fontaine donc…
GS : il faut prendre un exemple. La vertu des exemples est sans borne. Calmait sa soif : Il faut prendre calmait sa soif pour deux raisons majeures : (1) calmait sa soif ça veut dire quasiment mot à mot désaltérait alors que boire veut pas dire désaltérait. Donc là du point de vue du sens on est très proches de ce que a écrit La Fontaine et c’est quand même majeur pour nous d’être proche de ce qu’a écrit La Fontaine. (2), le deuxième point, et c’est peut-être le plus important, les élèves le disent d’ailleurs de façon extrêmement intéressante, c’est du vieux français il y en a une autre qui dit c’est du langage soutenu ; cette deuxième raison qui est extrêmement importante pour calmer sa soif, c’est que les élèves font un travail stylistique, ils font un travail d’écriture. Et parler de La Fontaine, dans la nouvelle mouture de m@gistere, c’est faire comprendre qu’une fable c’est une œuvre d’art. C’est pas un texte documentaire. C’est une œuvre d’art, c’est un poème, c’est une poésie, c’est une œuvre qui s’appréhende avec une esthétique. Que des élèves sentent, ressentent que calmait sa soif c’est plus pertinent parce qu’on touche à la poésie, il y a une expression poétique, c’est majeur. Si les élèves n’ont compris qu’une chose de La Fontaine, c’est que c’est de la poésie et qu’il faut faire vivre un langage poétique on a gagné le gros lot
IM : quand on parle de paraphrase de classe c’est aussi paraphrase venant des élèves. Je ne parle pas de contresens mais quand on est sur des choses proches qui tranchent. Si c’est la classe…
GS : c’est pas la classe qui tranche c’est le savoir, l’intelligence la beauté.
IM : oui à un moment le professeur dit mon choix c’est celui-là.
GS : ce n’est pas seulement ton choix c’est celui d’une partie de tes élèves.

Un peu plus tard, un membres de l’ingénierie intervient et produit en quelque sorte une synthèse des échanges qui viennent de se produire. Dans cette synthèse, il fait état d’une forme de dialectique à l’intérieur du contrat de paraphrase : dialectique entre le fait de paraphraser pour comprendre et paraphraser pour écrire à la manière d’une fable. Cette intervention prend la forme suivante :

Loïs : il y a plusieurs choses. On est dans une origine de notre travail qui est de construire une paraphrase qui est pour construire une compréhension. Cela fait longtemps que l’on parle/ nous avons des traces de notre travail où l’on disait que l’on pouvait peut-être influencé un peu l’orientation de notre contrat de paraphrase vers un contrat de paraphrase qui soit compris de la part des élèves comme quoi eux aussi écrivait une fable (cette paraphrase), c’est-à-dire un contrat pour faire comprendre mais aussi un contrat pour faire écrire. Et du coup, rappelez-vous un certain nombre d’entre vous s’étaient exprimés pour les raisons que vous venez de rappeler. A ce moment-là on a ouvert la porte en disant : on peut à certains moments de la situation de classe, de la paraphrase de la classe, accepter plusieurs formulations : un agneau buvait un agneau calmait sa soif, les deux sont acceptables et montrent qu’on a compris, mais dans une perspective d’écriture, pour faire jouer à un jeu plus poétique, un peu plus subtil on peut faire remarquer que calmer sa soif a un degré plus élevé. Et après quand les élèves réécrivent sur leur document personnel leur fable, car en fait on n’a jamais été jusque-là parce qu’avec les CE1 ce n’était pas possible d’aller vers beaucoup d’écriture, mais avec les CM c’est possible ; je pense que l’on pourrait donc infléchir davantage notre contrat comme étant à la fois un contrat de compréhension (et on est clairs là-dessus depuis le début, vous avez tous insisté là-dessus à chaque fois donc on le garde bien sûr) mais un contrat avec plus de perspective d’écriture.

Le dialogue d’ingénierie se poursuit et l’on sent poindre la naissance d’une alternative permettant à la fois de prendre en compte la tension entre contrat de compréhension et contrat d’écriture, tout en inscrivant dans le dialogue d’ingénierie une nouvelle inspiration propre à faire évoluer le style de pensée du collectif. L’extrait suivant permet sans doute d’illustrer cela :

Loïs : on voit bien sur cet extrait (46 :03 SHTIS) que s’inscrire dans le registre familier c’est donner une garantie qu’on a bien compris donc on choisit buvait, s’inscrire dans un registre soutenu c’est orienté vers une autre perspective. Donc si on refaisait cette séance, le professeur saura que désaltérer peut fonctionner comme un moment de la paraphrase où lui peut provoquer l’émergence de calmer sa soif
Pascale : en sortant le dictionnaire alors si ça sort pas autrement ?
Loïs : oui en sortant intentionnellement le dictionnaire
Pascale : donc on oriente et c’est notre rôle aussi.
Isabelle : oui oui
Gérard : tout à l’heure dans la discussion on a avancé sur des choses intéressantes. On a dit la paraphrase ça doit se faire avec les mots des élèves. Mais les mots des élèves c’est toujours jusqu’à un certain point. On devrait dire avec les mots des élèves tant que ceux-ci permettent de rendre compte d’aussi près que possible de la réalité du texte qu’on est en train de paraphraser. Parce que si, pour s’accrocher au seul familier, on perd une signification importante ou une subtilité importante, c’est dommage. On a peut-être intérêt de montrer dans le module M@gistère à insister sur le travail littéraire et poétique, l’aspect artistique de la fable

Notons que le premier membre de l’ingénierie (Loïs) à prendre la parole s’appuie expressément sur un extrait du SHTIS pour appuyer son propos. Le lecteur pourra se référer à la figure suivante (figure 76) dont la portion de transcription permet de rendre compte des échanges. Pour permettre au lecteur de percevoir le lien qui existe entre les propos de Loïs et le moment du SHTIS auquel il est fait référence, nous avons mis ces deux éléments (portion de transcript et capture d’écran du SHTIS) en vis à vis :

Loïs : on voit bien sur cet extrait (46 :03 SHTIS) que s’inscrire dans le registre familier c’est donner une garantie qu’on a bien compris donc on choisit buvait, s’inscrire dans un registre soutenu c’est orienté vers une autre perspective. Donc si on refaisait cette séance, le professeur saura que désaltérer peut fonctionner comme un moment de la paraphrase où lui peut provoquer l’émergence de calmer sa soif

Figure 76. Arrêt sur une portion de transcript

Si l’on se réfère au schéma inspiré de la thèse de Lefeuvre (cf. figure 65 rappelée ci-dessous), nous nous situons ici dans une étape que nous avons nommé « actualisation locale instantanée » :

Reprise de la figure 65. Les SHTIS comme outil de concrétisation des savoirs en jeu en situation

La section suivante est en quelque sorte une extension de ce schéma. Il s’agira d’y donner à voir et à comprendre le produit du dialogue d’ingénierie à travers la production de scenarii contrefactuels. Cette étape d’actualisation générale des habitudes de travail de l’ingénierie par le recours à une stratégie de pensée par contrefactuels.

Penser par contrefactuels

Les lignes à venir prennent appui sur un SHTIS produit à l’issue du travail de l’ingénierie. Ce produit du dialogue d’ingénierie a été traduit en un SHTIS qui a servi de support à une intervention donnée à l’occasion des sixièmes rencontres nationales des LéA de juin 2016 (Blocher, Lefeuvre & Sensevy, 2016). Le lecteur pourra se reporter à l’extrait de SHTIS suivant :

La fonction de ce SHTIS est de rendre compte de la mise en œuvre de la séance 3 dans deux classes . Plus précisément, le SHTIS donne à voir et à comprendre la manière dont la séance trois mise en œuvre dans les deux classes a été analysée au sein de l’ingénierie et a donné lieu à la production d’une redéfinition générale du contrat de paraphrase, d’une part, et la production de différentes alternatives permettant de rester fidèle au contrat de paraphrase redéfini. C’est précisément ce dernier élément qui occupe ici notre propos : montrer les contrefactuels conçus par l’ingénierie pour aider les professeurs qui mettent en œuvre la séquence « Fables » à concevoir collectivement une paraphrase de classe.

Dans ce SHTIS les premières minutes (00 :00 :00 :00 à 00 :11 :23 :10) sont consacrées à rendre compte du contenu de la séance 3 et de sa mise en mise en œuvre dans les deux classes de cours moyen. Le lecteur est donc invité à se focaliser sur l’extrait suivant :

Les premières minutes de cet extrait rendent compte de la nécessité pour l’ingénierie de proposer des gestes d’enseignements qui permettent aux professeurs de gérer l’équilibre entre respect du contrat de paraphrase dit de compréhension et du contrat de paraphrase dit de rédaction à la manière de l’auteur. Cela peut être illustré par le recours à la vue suivante (figure 77) :

Figure 77. Le SHTIS à 00 :11 :23 :10

Ces premiers instants du SHTIS, comme le résume la figure ci-dessus, montrent comme l’ingénierie se sert de l’exemple de la paraphrase du premier vers de la fable (ie. Un agneau se désaltérait) pour proposer aux professeurs des stratégies générales à adopter face aux propositions des élèves. En d’autres termes, l’ingénierie se sert d’un exemple-emblématique tel qu’il a été érigé lors des analyses collectives, pour opérer une montée en généralité.
La suite du SHTIS consiste en la déclinaison d’un schéma composé de deux branches. Analysons d’abord la première branche de l’alternative proposée par le schéma ci-dessous (figure 78) :

Figure 78. Une première alternative

Le collectif d’ingénierie propose de considérer dans un premier temps la proposition majoritaire, conforme du point de vue du contrat de paraphrase dit de compréhension. Puis, il est proposé au professeur de recourir à un élément récurrent du milieu : le texte de Phèdre. Ce recours s’explique par le fait que dans la version de Phèdre , le texte renvoie très clairement à une nécessité d’étanchement qui peut conduire les élèves à produire une paraphrase telle que « un agneau calmait sa soif ». En outre ce texte, bien connu des élèves, a été institué dès la première séance comme une ressource sur laquelle s’appuyer.

Pour stabiliser l’intuition des élèves qui consisterait, après avoir recouru au texte de Phèdre, à considérer que La Fontaine veut dire plus que « buvait » dans le premier vers de la Fable, cette première branche de l’alternative invite les professeurs qui mettraient en œuvre la séance à proposer aux élèves de recourir au dictionnaire. Ce faisant, l’accent est mis sur les dimensions six et sept du contrat initial de paraphrase. Pour mémoire, ces dimensions sont le suivantes : « […](6) de rechercher dans le dictionnaire les mots difficiles, complexes, inconnus des élèves. Le recours au texte de Phèdre pour paraphraser est également possible (7) ». (Blocher, Lefeuvre & Maisonneuve, 2019).

Voyons la seconde branche proposée par le collectif (figure 79 ci-dessous) :

Figure 79. Une seconde branche de l’alternative

Dans ce cas de figure, comme il est mentionné dans le cadre « cas de figure n° 2 », il n’y a pas unanimité dans les paraphrases de groupe. Comme le montrent les histogrammes, 2 groupes d’élèves sur 7 ont proposé « calmait sa soif » et 5 groupes proposent « buvait ». Les professeurs sont invités à s’appuyer sur les deux propositions orientées vers le contrat de paraphrase dit d’écriture à la manière de l’auteur pour amener les élèves à se positionner sur ce qu’apporte de plus « un agneau calmait sa soif » par rapport aux autres propositions. Le débat doit permettre aux élèves de relever les intentions poétiques de l’auteur.
La fin du SHTIS propose une vue sur une manière de stabiliser la paraphrase de classe. Le figure 80 ci-dessous rend compte de cette manière de faire :

Figure 80 . Une proposition de conclusion

Il s’agit donc de valider les propositions des élèves qui tendraient à privilégier une intention poétique. Ce faisant, et c’est sans doute un élément manquant dans ce SHTIS, le collectif d’ingénierie invite les professeurs amenés à mettre en œuvre la séquence d’enseignement à considérer une huitième dimension dans le contrat initial de paraphrase. Cette dimension pourrait être résumée par la recherche de la « sonorité et la musique des mots ».
Nous profitons de cette rapide étude de cas pour revenir sur le concept de « pensée par contrefactuels ». En effet, nous proposons ici un modèle qui rend compte de deux cas de figure qui se rejoignent en fin de séance. On le voit sur la figure 75 exposée précédemment, que l’on soit dans le cas de figure numéro 1 – unanimité des élèves sur une paraphrase de type « un agneau buvait » – ou dans le cas de figure numéro 2 – apparition de proposition construite à la manière de l’expression calmait sa soif – les deux stratégies mises en œuvre conduisent les professeurs à inviter les élèves à considérer l’aspect poétique des paraphrases produites. Ce modèle est donc sensiblement différent de celui qui a servi notre propos lors du chapitre précédent (voir chapitre 1). Cela permet de considérer la pensée par contrefactuels comme relevant de stratégies aux issues différentes. Ainsi selon le type de contrefactuel produit, l’issue peut être différenciée ou générique. Ce faisant, il serait possible de schématiser deux formes essentielles de pensée par contrefactuels, chaque forme autorisant un ensemble de variation dépendant du nombre d’alternatives considérées. Ces deux formes matricielles pourraient être les suivantes :

 

Figures 81. Deux formes matricielles pour une pensée par contrefactuels

Première synthèse

Si l’on se réfère à l’étude de cas que nous venons de proposer, il est possible de dresser une première synthèse quant à l’utilité du SHTIS au sein des ingénieries. Ainsi, l’exemple a pu montrer en quoi le SHTIS pouvait être qualifié comme un augmentateur du dialogue d’ingénierie à travers sa fonction de réminiscence ou de réactivation de l’arrière-plan commun. Ce faisant, le SHTIS a une fonction de catalyseur dans la formation du style de pensée de l’ingénierie.

Un autre enseignement de l’étude de cas qui vient d’être présentée – enseignement par lequel nous aurions pu commencer – est relatif au fait que le SHTIS a pour principale fonction de rendre la portion de pratique considérée « entendable » et compréhensible par l’ensemble du collectif. Cela est rendu possible par le fait que le SHTIS est une machine à produire des visibilités et des énoncés au sens où nous l’entendions dans le chapitre précédent. Pour mémoire, il s’agit de considérer la production de connaissances à propos d’un objet à travers la production de visibilités et d’énoncés qui le concernent, tel que Deleuze, reprenant Foucault, nous le propose. Dans le chapitre précédent, nous émettions l’hypothèse d’une liaison forte entre cette production de visibilités et d’énoncés et la traduction de formules abstraites en illustrations concrètes. Cette ascension de l’abstrait au concret (Davydov, 1990 ; Engeström, Nummijoki et Sannino, 2012, Sensevy, 2016) étant notamment rendue possible par l’érection de SHTIS basée sur la recherche d’une forme d’exemplarité (Khun, 1977).
La seconde étude de cas qui suit a pour objet de donner à voir et à comprendre le déploiement d’une série de SHTIS dans une autre ingénierie coopérative. Le leitmotiv de l’entreprise de production de SHTIS dans cette ingénierie peut justement être résumé par la recherche d’exemples emblématiques.

Second contexte : l’ingénierie « Arithmétique et compréhension du nombre à l’école élémentaire (ACE) »

Contexte

Le second contexte de déploiement que nous apprêtons à décrire est celui du Lieu d’Éducation Associé (LéA) à l’Institut Français de l’Éducation (IFÉ) « Réseau écoles Bretagne-Provence ». La création récente de ce LéA, au moment où nous rédigeons notre thèse, ne doit pas abuser. Si la structuration en LéA est récente (septembre 2017), les membres du groupe sont structurés en ingénierie coopérative depuis 2011 et le début de la recherche ACE. La frise suivante (figure 82) donne un aperçu des différentes étapes de la vie de cette ingénierie de 2011 à aujourd’hui :

Figure 82. De la recherche ACE au LéA éponyme

Pour un descriptif précis du fonctionnement de l’ingénierie ACE-ARITHMECOLE nous nous référons aux travaux de thèse issus de la recherche princeps (Vigot, 2014, Joffredo-Le Brun 2016, Morellato, 2017). La description de Morellato (2017, p. 56-60) est particulièrement éclairante sur la manière dont les sphères 1 et 2 interagissent et sur la dynamique itérative à l’œuvre dans l’ingénierie. Si notre travail porte principalement sur la période la plus récente de la frise précédente, les acteurs de ce travail ont en commun un arrière-plan constitué sur plusieurs années. Certains membres du LéA se côtoient depuis les premiers moments de la recherche ACE. De ce fait, les membres de l’ingénierie ont conçus et partagent des « formes de vie » (Lebensform) comme le nomme Wittgenstein. Ces formes de vie sont à la fois singulières, en tant qu’elles répondent à une structure donnée et universelles, en tant qu’on peut les comprendre en les référents à l’arrière-plan générique qui fait que les Hommes se comprennent. Cette forme de vie s’incarne dans un langage partagé. Cometti (2011), précise que « Le langage n’existe que dans ses usages, ces usages sont communs, partagés, et ils sont intégralement solidaires d’un arrière-plan de pratiques au regard desquelles les actions et les processus sont plus importants que les structures ou les règles qui paraissent en déterminer les possibilités ». Il s’agit ainsi, pour nous, de donner accès à une série d’usages qui ont conduit les membres de l’ingénierie à la conception de systèmes de représentations donnant à voir et à comprendre les caractères essentiels de certaines situations clés de la progression ACE. Plus précisément, nous allons évoquer l’un des « fils rouges » du domaine situation : le fil rouge « explorer la ligne » .
L’enjeu est de taille car comme nous venons de le dire, certains membres de l’ingénierie travaillent ensemble depuis 2011, soit, au moment où nous rédigeons cette thèse, depuis plus de 7 ans. Leur arrière-plan commun est constitué de plusieurs dizaines de réunions, de centaines d’heures de discussion et de plusieurs dizaines d’heures de formations partagées. Cet arrière-plan est né de milliers de courriels et de nombreuses lectures et relectures des domaines constitutifs de la progression. Il paraît tout à fait improbable de rendre compte cette dynamique en quelques dizaines de lignes, d’autant que notre axe de travail n’a pas inclus le recueil systématique des compte rendus de réunions ou le recensement exhaustif des courriels et autre transcriptions des échanges oraux qui auraient pu nous permettre d’imaginer rendre compte de la dynamique d’ingénierie. Nous émettons donc l’hypothèse que les SHTIS sont aussi le véhicule du dialogue de l’ingénierie. En d’autres termes, que les SHTIS peuvent être utilisés pour rendre compte du fonctionnement de l’ingénierie, de son langage et de ses formes de vie, de son arrière-plan et des gestes professoraux qu’elle a fait naître. In fine de la culture qui l’anime.

La conception de SHTIS dans le contexte de l’ingénierie ACE

Si le projet de conception de SHTIS pour l’ingénierie ACE s’est concrétisé dans le courant du premier semestre 2018, l’idée même de conception est plus ancienne. Les lignes qui suivent visent à reconstruire une perspective micro-historique (Ginzburg & Poni, 1981) des motifs qui ont conduits à cette entreprise de conception. Il s’agit en effet « d’atteindre ce niveau plus profond, invisible, qui est celui des règles du jeu, « l’histoire que les hommes ne savent pas qu’ils font »(Ibid. p. 6). Pour cela nous allons fonder notre description et certains élément de notre analyse sur un ensemble d’obtenus. Ces obtenus sont produits au sein de ce que nous nommions et décrivions précédemment « paradigme indiciaire ». Cet ensemble est constitué : du récit de la manière dont la référence à l’objet SHTIS s’est construite au sein de l’ingénierie, d’un extrait du verbatim des échanges ayant eu lieu à l’occasion d’une réunion du LéA le 28 mars 2018, d’un ensemble de courriels échangés entre tout ou partie des membres du LéA.

Un préalable essentiel : s’accorder sur ce qu’est un SHTIS

Pour satisfaire à ce préalable, les premières réunions du LéA (septembre 2017 à mars 2018) ont ménagé un temps de discussion autour de ce qui a d’emblée été présenté comme un système hybride texte-image-son. Ce temps de discussion augmentant à mesure que les réunions se déroulaient, dans une logique que nous reconstruisons a posteriori comme une forme d’apprivoisement. En outre, si les premières discussions ont consisté en une description orale et relevant parfois du monologue explicatif (de la part de l’auteur de ces lignes), des exemples dynamiques issus de SHTIS produits par ailleurs ont été donnés. Ainsi, des extraits courts du SHTIS  à venir ont notamment alimenté les discussions :

Figure 83. Vue sur le SHTIS support des discussions au temps 00 :00 :35 :00

En nous appuyant sur la figure 83 ci-dessus, par exemple, notre discours a pu porter sur le type d’agencement que le SHTIS peut proposer : deux fenêtres en vis à vis, l’une donnant à voir le film et sa transcription, l’autre ce que nous avions nommé une « reconstruction de la pratique ». En guise de reconstruction, il s’agissait, comme l’évoque la figure suivante, d’un zoom sur le tableau et d’une délinéation dynamique de certaines représentations.

Figure 84. Vue sur le SHTIS support des discussions au temps 00 :07 :44 :00

Dans la figure 84 ci-dessus, la fenêtre de gauche montre un professeur-chercheur travaillant dans une classe avec des élèves, pour leur faire comprendre comment on peut utiliser la ligne pour « faire voir un nombre dans un autre » (en l’occurrence 6 dans 7 = 5 + 2). La fenêtre de droite représente et résume la pratique de la fenêtre de gauche.

Nous évoquions également, sans le dire de cette façon, les deux mouvements de la clinique que le SHTIS peut donner à voir et à comprendre (voir le chapitre inaugural et le chapitre 1 de la présente thèse). Un premier mouvement à visée descriptive proposant une description en sémantique familière de l’action et un second élan, à visée analytique qui reprend le premier mouvement et le traduit dans le langage des modèles. La figure ci-dessous rend compte du passage au second mouvement par le recours au témoignage d’un professeur-chercheur :

Figure 85. Vue sur le SHTIS support des discussions au temps 00 :11 :51 :00

Dans la figure 85 ci-dessus, en lien avec les deux fenêtres initiales du SHTIS (visibles dans l’arrière-plan) une troisième fenêtre apparaît. Dans cette dernière, le professeur-chercheur « parle » de ces deux fenêtres dans le langage des modèles (ici, notamment, en montrant la construction de l’égalité comme équivalence dans l’action conjointe professeur-élève).

Par ce double procédé systématique de discussions orales et d’ancrage de nos propos dans le concret d’un SHTIS dynamique nous avons permis aux membres de l’ingénierie de se représenter le SHTIS en tant qu’objet. De la sorte le SHTIS se voyait doté d’une référence commune au sein du groupe. La phase qui consistait à produire les premiers SHTIS donnant à voir et à comprendre les fils rouges en situation pouvait débuter.

La phase de recueil : organisation préalable

Le 16 février 2018, lendemain d’une réunion du LéA nous envoyions un courriel dont l’objet portait précisément sur la manière de recueillir les éléments constitutifs de SHTIS.
Ce courriel invitait les professeurs à proposer une situation qui leur paraissait révélatrice de ce que recouvre la démarche ACE. Pour le dire autrement les membres de l’ingénierie étaient invités à décrire les premiers éléments de situations qu’ils jugeaient emblématiques, au sens de la TACD, de la démarche. Cet aspect des choses dans la construction des SHTIS est essentiel. D’autant plus essentiel dans le cas de l’ingénierie qui nous occupe, qu’il répond à l’habitude que les professeurs du collectif ont prise de partager des productions d’élèves jugées intéressantes à étudier . Ci-dessous, un exemple de production envoyé par Valérie Ollivier, professeure membre de la sphère 1 depuis le début d’ACE et le courriel explicatif associé (figure 86) :

 

Figure 86. Une production partagée par Valérie dans un courriel du 02/02/2018

Suite à cette production d’élève commenté par un professeur-chercheur de l’ingénierie coopérative, un courriel envoyé par nous à la liste de diffusion se déclinait en 8 points et en une synthèse. Nous proposons ici de reconstituer ce courriel en le présentant point par point.

Figure 87. Courriel envoyé par Jean-Noël le 16/02/2018, partie 1

Dans cette première partie du courriel, il est rappelé la démarche générale qui conduit à solliciter les professeurs pour concevoir des SHTIS, d’une part et le type de « situation candidate » à partager. La figure suivante rend compte des points n° 2 et n° 3 :

Figure 88. Courriel envoyé par Jean-Noël le 16/02/2018, partie 2 et 3

Ici, il est demandé aux professeurs de préciser le « contexte » ayant conduit à retenir telle ou telle situation candidate. Puis, l’accent est mis sur la rédaction d’un synopsis proche de ce que peut être une fiche de préparation, mais avec la particularité d’anticiper sur les traces et les indices potentiellement fertiles à recueillir.
La figure à suivre donne à voir les points 4, 5 et 6 :

Figure 89. Courriel envoyé par Jean-Noël le 16/02/2018, partie 4, 5 et 6

Ces trois étapes permettent aux professeurs de recueillir les obtenus de manière autonome ou de solliciter la présence d’une équipe pour la captation. Elles permettent aussi de gérer la récupération des obtenus en vue de leur exploitation.

L’étape 7 (cf. ci-dessous) consiste quant à elle à organiser les modalités de partage des SHTIS une fois ceux-ci conçus. La solution retenue permettait également de produire des commentaires sur certains moments de la vidéo et d’y répondre. A ce titre cette solution (Vialogues) est à la fois une solution de partage et d’analyse. La figure suivante précise le fonctionnement de Vialogues en donnant à voir la portion du courriel en question :

Figure 90. Courriel envoyé par Jean-Noël le 16/02/2018, partie 7

Au-delà du partage et de l’analyse, la solution retenue, nous y reviendrons dans le chapitre suivant, constitue une solution technique simple, pour créer des SHTIS rudimentaire jouant sur la synchronisation du flux vidéo avec l’écriture de commentaires. Ce type d’agencement peut être vu comme un proto-SHTIS. La vue suivante présente une fenêtre Vialogues :

Figure 91. Une fenêtre Vialogues ou la possibilité de concevoir un proto-SHTIS

Dans cet exemple, un clic sur le time code à droite (cf zone cerclée de rouge) permet de caler la vidéo sur le même moment (zone cerclée de bleu).
Quant à la fin du courriel, elle proposait au collectif quelques éléments relatifs à la durée des vidéos, ce que celles-ci sont susceptibles de montrer ou de ne pas montrer et la manière d’accentuer certains bienfaits conjecturés de la démarche. La figure suivante fait état de ces éléments :

Figure 92. Courriel envoyé par Jean-Noël le 16/02/2018, partie finale

En résumé, cette portion finale insiste sur la nécessité de s’intéresser aux situations donnant à voir et à comprendre la genèse de productions individuelles et de productions collectives, dans un film qui ne devrait pas dépasser dix minutes. L’avant dernier paragraphe (« Pour mémoire, il faudrait… fin mars ») préfigure quant à lui de ce qui pourrait être défini comme ce que nous nommions depuis le chapitre inaugural un SHTIS de niveau 2 à visée analytique.

Rapidement, les premiers professeurs intéressés se sont manifestés et les premières dates de tournages ont été calées. Les figures suivantes rendent compte des manifestations d’intérêts des professeurs membres de l’ingénierie. Nous avons sélectionné les réponses parmi celles qui ont effectivement données lieu à la production d’un SHTIS :

Figure 93.Courriel d’Angélique du 17/02/2018 faisant suite au courriel originel du 16/02/2018

Dans ce témoignage, Angélique Martinotti fait référence à des fondements de la démarche ACE, notamment lorsqu’elle cite son objectif de « montrer le goût des élèves pour les mathématiques et la diversité de leur activité langagière, orale et écrite, pour parler les mathématiques. Elle appuie cette argumentation sur le « Journal du Nombre » (JDN), dispositif central de ACE, dans lequel les élèves ont pris l’habitude d’écrire les mathématiques qu’ils souhaitent écrire de leur propre mouvement. On peut considérer ce dispositif « Journal du nombre » comme la matrice conceptuelle et pratique des fils rouges que met en œuvre la progression ACE.

Figure 94. Courriel de Mireille du 18/02/2018 faisant suite au courriel originel du 16/02/2018

Ici, on discerne en filigrane du terme « alternative » l’arrière-plan théorique de la pensée par contrefactuel. Le principe de continuité de l’expérience mathématique des élèves (Joffredo, 2016) est également mobilisé lorsque Mireille Morellato, l’auteure du courriel, avance l’idée selon laquelle certaines productions antérieures des élèves ne font pas collectivement sens dans des situations où elles pourraient servir de support ou d’incitation.

La phase de recueil : le concret de la captation

Pour donner à voir et à comprendre la manière dont les recueils ont été produits, nous nous appuieront sur le cas d’un SHTIS mettent en scène Olivier Lerbour et ses élèves de cours préparatoire lors de situations les amenant à « explorer la ligne ». Nous nous appuierons spécifiquement sur le document de scénarisation envoyés par Olivier Lerbour ainsi que sur l’échange de courriels qui a précédé la captation effective dans sa classe. Nous lierons ces documents à plusieurs obtenus effectivement recueillis.

Un premier jeu de courriels est relatif au fait de trouver une date qui convienne à Olivier Lerbour, Gérard Sensevy et moi. Puis s’en suit un échange lié au document synoptique. La figure 95 ci-dessous fait état de cet échange entre Olivier et Gérard courriel initial de Sensevy, en bas, puis réponse de Lerbour, au-dessus) :

Figure 95. Courriel envoyé par Olivier le 21/02/2018

Le document auquel Olivier fait allusion dans ce courriel ci-dessus du 21 février est le suivant (les surlignages sont le fait de l’auteur du document) :

Figure 96. Le déroulé de la séance envoyé par Olivier le 21 février 2018

Ce document constitue une description de premier niveau en tant qu’elle donne le contexte général de la situation amenée à être filmée. Toutefois, certains éléments de nature à informer l’équipe de captation sur des spécificités de la situation qui devaient être prises en compte sont manquants. Un nouvel échange visant à combler ce manque s’engage alors (voir figure 97) :

 

Figure 97. Un échange entre Gérard et Olivier

La figure suivante représente le document produit par Olivier augmenté de ses réponses aux commentaires.

Figure 97bis. Le déroulé de la séance repris et commenté

Dans ce document, Olivier donne le synopsis de la séance qui sera amenée à être filmée (ce qui nous intéresse particulièrement est surligné en jaune dans la figure 98). Ce déroulé de séance prévoit un travail en binôme au tableau. Durant ce temps les élèves choisissent deux nombres puis se livrent à la recherche de la différence entre ces deux nombres au moyen de stratégies connues d’eux (l’exploration du schéma-ligne). La mention de cette étape amène Géard Sensevy à questionner Olivier Lerbour sur le type de nombre que les élèves seront amenés à faire. Olivier Lerbour produit une réponse argumentée qui fait montre de stratégies de choix différenciées en fonction du niveau des élèves. Les deux derniers temps de la séance sont également décrits : un temps de mise en commun en groupe classe suivi d’un temps de travail de recherche de différence en autonomie. Ces deux temps font l’objet d’un commentaire sur le type d’écrits que les élèves auront à produire. De la sorte, le complexe déroulé de la séance/commentaires/réponse aux commentaires nous informe sur (i) la nature des obtenus à recueillir, (ii) le type de plan potentiellement à même de rendre compte de l’action (voir figure 102 et 102bis).

A la suite de cette figure, nous proposons une vue sur l’échange de courriels qui a suivi et qui a permis de stabiliser le déroulé de la séance. Cet échange est l’occasion de préciser les attendus (ici le passage à la dizaine supérieure) quant aux nombres que les élèves auront à choisir, d’une part. D’autre part cela précise l’intérêt de considérer le journal du nombre comme une continuité de n’importe quel fil rouge.

Figure 99. Un échange entre Gérard et Olivier

Dans l’échange de courriel précédent, Olivier fait référence à une vidéo dont il donne brièvement le contexte de production. A ce média, s’ajoutent des productions d’élèves qu’Olivier a envoyées à la suite. Ces éléments sont donnés à voir dans les figures ci-dessous :

Figure 100. Un élève au travail

Figure 101. Les élèves s’entraînent à explorer la ligne, trois productions d’élèves

De la sorte, le triptyque « déroulé synthétique/courte vidéo/productions résultant de la situation » nous permet à quelques jours du tournage de disposer des éléments nécessaire pour envisager notamment les conditions matérielles et stratégiques du filmage. Par exemple, il semble que l’une des caméras devra nécessairement être positionnée sur pied, dans l’axe du tableau où figure la représentation de la ligne à explorer. De la même manière, l’alternance entre travaux individuels et reprise en groupe classe nous incite à nous doter d’une caméra supplémentaire pour pouvoir recueillir les productions des élèves.
Les trois figures à venir donnent à voir les trois types de plans filmiques adoptés lors du recueil.

 

Figure 102. Plan large réalisé à partir de la caméra fixe sur pied

Figure 102bis. Plan serré au niveau d’une zone où les élèves sont amenés à travailler

Figure 102ter. Plan zoomé sur le travail d’une élève

En plus du film intégral de la situation, nous avons procédé à un recueil supplémentaire au moyen d’une caméra mobile. Pour une partie du filmage avec la caméra mobile, lors du travail individuel d’exploration de la ligne, nous avons demandé à deux élèves de se prêter au jeu de la verbalisation concomitante. En d’autres termes, nous avons demandé à deux élèves de dire à haute voix ce qu’elles étaient en train de réaliser. Ce procédé puise son inspiration du « think aloud protocol » utilisé par Lewis (1982) lui-même inspiré par les travaux sur le « protocol analysis » d’Ericsson & Simon (1980). Pour ces auteurs, dont l’objet est de caractériser les modes de raisonnement d’utilisateurs confrontés à des interfaces informatisées, « verbal report is data » ou en d’autres termes, le discours d’utilisateurs amenés à « verbaliser » en situation peut être considéré comme un moyen d’en savoir plus sur les processus cognitifs en jeu lors de leurs agissements. Notre ambition au moment où nous avons improvisé ce type de recueil était moins grande : il s’agissait seulement de donner accès à une forme concrète supplémentaire de description d’une réalité. Le lecteur pourra prendre connaissance du type d’obtenus permis par ce type de recueil au moyen de la figure suivante (figure 103 ci-après) extrait du SHTIS consultable ci-dessous :

Figure 103. L’interface générale du SHTIS

A l’issue du recueil, nous disposions d’un ensemble de photographies (généralement prises avant le début de la séance, au moyen de la caméra mobile) de productions d’élèves, d’une séquence vidéo issue de la caméra fixe d’une durée d’une heure, d’une séquence vidéo issue de la caméra mobile (verbalisations concomitantes incluses) d’une durée de trente-trois minutes

La phase de conception : entre appui sur l’existant et innovation

C’est ici qu’intervient explicitement le compte rendu de la réunion du 28 mars 2018 auquel nous faisions allusion au début de cette section. En effet, avant cette date, les SHTIS conçus pour les ingénieries (Fables ou ACE) ou pour les besoins de la recherche (IMADOI) étaient intégrés à une interface vidéo. De sorte que, lorsqu’il était fait référence à une ressource ou à un document, tout ou partie de ce document apparaissait dans l’interface vidéo. Les exemples utilisés jusqu’ici pour donner à voir et à comprendre au lecteur ce que sont les SHTIS étaient tous basés sur cette forme intégrative. La nouvelle forme que les SHTIS allaient prendre, nous sommes sur le point de le voir, étant fondée sur une logique modulaire.

A l’occasion du chapitre inaugural, nous avions esquissé la manière dont les SHTIS pouvaient être intégrés à des pages web. La forme modulaire dont nous traitons ici est précisément basé sur ce type d’intégration. Avant de décrire la manière dont cette intégration est pensée, voyons de quelles inspirations ladite forme est née.
Au bout de trois quart d’heure de discussion à propos de l’actualité du LéA et le partage d’informations diverses, nous abordons le point 2. L’animateur de ce moment de la séance, Gérard Sensevy, introduit ce point comme suit :

42 :01 (Gérard) On passe au point deux qui est « quatre proto-shtis » alors juste un mot avant de se lancer là-dedans là ce qu’on est en train de faire là c’est quelque chose je pense de qui est très factuel pour nous mais qui est en même temps très nouveau 42 :28 +++ […] c’est très habituel parce qu’on parle de ce qu’on fait en classe mais c’est nouveau parce qu’on va essayer de partir de ce qui a été fait vraiment pour en faire un système hybride textes images sons d’abord en faisant on va comprendre petit à petit ce que peut être un tel système vous allez vous dire mais moi les systèmes hybrides textes images sons je ne sais pas trop ce que c’est mais à ce moment-là vous serez contents d’être comme tout le monde puisque Jean-Noël il fait une thèse sur les SHTIS en inventant l’idée et la pratique donc si on ne sait pas ce que c’est c’est normal et ce qui serait bizarre c’est de savoir ce que c’est 43 :33 Mais on découvre en marchant donc voyez l’idée c’est de se dire là on va travailler on va discuter ensemble on va échanger des arguments et puis après l’idée ça serait de petit à petit faire de ça des SHTIS qui pourront être diffusé un SHTIS c’est destiné à être diffusé à peu près partout après selon les SHTIS c’est pas au même endroit mais ils peuvent très bien être diffusés dans une formation avec des professeurs qui ne connaissent strictement rien d’ACE ou dans une formation avec des chercheurs qui ne connaissent rien d’ACE ou dans une formation avec des personnes qui connaissent bien ACE 44 :18 qui soient professeurs ou chercheurs mais évidemment ce sera pas forcément le même SHTIS donc peut-être il y a aura des SHTIS différents peut être il y aura des SHTIS à géométrie variable tout ça évidemment c’est nous qui faisons on est tout à fait libres de construire ce qu’on veut ++ donc il y a bien cette idée de diffusion idée qu’on essaye de construire collectivement […]

Figure 104. Extrait du verbatim des échanges de la réunion du 28 mars 2018.

Introduction du point numéro 2

Deux éléments essentiels sont mis en avant ici. En premier lieu, le fait que les SHTIS ont pour vocation de « parler ce qu’on fait en classe », c’est-à-dire de rendre compte de la pratique ordinaire du professeur et des élèves. En second lieu, il s’agit de penser collectivement une manière de diffuser cette pratique vers des publics connaisseurs ou non de la démarche. Cet accent mis sur la diffusion massive des SHTIS conçus par et pour l’ingénierie ACE est de nature à former un nouveau système de contraintes mais également à ouvrir un nouveau champ de potentialités.

Les minutes qui suivent ces premiers échanges permettent de lever une ambiguïté fondamentale. Cette ambiguïté est celle qui consisterait à croire que les SHTIS sont conçu pour montrer à des débutants de la démarche ACE la « bonne manière » de faire classe. L’extrait suivant rend compte des échanges à ce propos :

(Angélique) Moi ce qui m’a gêné en fait c’est que j’arrivais pas à voir à qui ça s’adressait au départ et du coup dans nos pratiques c’est forcément différent. Moi Mireille est venue filmer une première fois dans ma classe et en fin de compte je me suis rendue compte que c’était pas clair parce que en fait j’ai procédé comme je procède d’habitude quand elle vient dans ma classe c’est-à-dire que je me mets en retrait et en fait je laisse voir ce que produisent les enfants 1 :03 :36 et à un moment donné je me rends compte avec Mireille on se rend compte 1 :03 :37 il aura fallu qu’au contraire je prenne la main et que j’intervienne en faisant une sorte de synthèse de ce qui a avait été proposé plus ou moins pour proposer une sorte de geste professionnel ce que je n’ai pas fait parce que j’ai pas pour l’instant je ne suis pas dans ce truc-là quoi enfin jusqu’à présent c’est pas du tout comme ça que je procédais nous on filmait des échanges entre les enfants des manières de penser qu’ont les enfants et leur manière d’interagir etc et là du coup ça m’a déstabilisé c’est pour ça qu’on a dit on efface on va repenser bon après ça nous a servi parce qu’on s’est dit que voilà qu’il fallait penser les choses autrement mais en définitive c’est parce que j’avais oublié le pourquoi du film enfin l’objectif principal 1 :04 :29 et je me suis dit en effet si c’est pour des profs qui essayent de mettre en place ACE et qui essayent de comprendre voilà quelques gestes de base là évidemment il est important que peut être à un moment donné je prenne la main et que je remette les enfants ce que je n’ai pas fait/
(Gérard) C’est une excellente remarque je comprends mieux la position que tu exprimes euh alors c’est important je pense qu’on clarifie pour nous les choses 1 :04 :57 On ne fait pas un SHTIS pour forcément montrer à des débutants comment procéder c’est pas forcément ça on fait un SHTIS pour montrer ce qui se passe quand on enseigne et on apprend dans ACE donc en fait on résiste à deux idées aux deux idées que tu as exprimées : on résiste à l’idée de filmer des 1 :05 :30 gestes d’enseignement spécifiques pour initier quelqu’un à ACE on résiste à cette idée et on résiste aussi à l’idée de montrer les merveilles que font les élèves on résiste aux deux choses ce que j’essaye de montrer de faire comprendre c’est premièrement les élèves font quelque chose mais il faut qu’on arrive à faire comprendre à celui ou celle qui regarde pourquoi les élèves font ce qu’ils font.

Figure 105. Extrait du verbatim des échanges de la réunion du 28 mars 2018.

Lutter contre deux idées

La suite directe de cet échange vise à décrire la forme modulaire qui résulte des échanges d’une part mais également de l’arrière-plan partagé entre Gérard Sensevy et nous.

(Gérard) Alors c’est là que la multiplication / Mais il ne faut pas revenir au début c’est là que la multifonctionnalité le fait que c’est un système multimodale le SHTIS c’est un film mais c’est aussi toi qui va parler sur le film Mireille qui va parler sur le film un élève qui aura été interrogé il faut vraiment le voir un SHTIS l’image qu’il faut avoir en tête c’est la structure modulaire du SHTIS ça c’est le film de la pratique d’accord le film de base qu’on a fait dans les classes on va l’appeler le film essentiel le film fondamental le film crucial et puis 1 :08 :41 et puis après là vous avez plein de modules alors ça peut avoir cette forme exactement cette forme et puis là il y a marqué le professeur parle on clique et on entend le professeur parler là il y a des élèves qui ont été interrogés en verbalisation concomitante qui parlent pendant qu’ils travaillent comme tu nous en avais montré Angélique là ce serait ça ici on peut avoir notre ami le Al Pacino de la didactique j’ai nommé Serge qui fait une remarque là c’est Mireille etc. etc. Là c’est un extrait d’un autre film passé un mis avant ou deux mois avant donc c’est tout ça le SHTIS/
(Sandrine J) On pourrait imaginer le professeur en aparté explicite ce qui s’est passé à ce moment-là/
(Gérard) Absolument 1 :09 :35 /(Sophie P) Oui par rapport aux deux films qui ont été faits on peut avoir du coup un extrait du premier film […]

Figure 106. Extrait du verbatim des échanges de la réunion du 28 mars 2018.

La forme modulaire du SHTIS

Durant cet échange, Gérard Sensevy produit une esquisse au tableau. La figure 107 à venir donne à voir cette esquisse :

Figure 107. Le SHTIS dans sa version modulaire : une esquisse

Pour passer de l’esquisse à l’épure (Chevallard, 2018), et ainsi rendre compte de quelque fondement théorique qui guide la conception des SHTIS modulaires, nous proposons de quitter temporairement le compte rendu de la réunion et de commenter le schéma.

Ici est représenté ce que Sensevy a nommé le « système filmique ». Il s’agit du film d’étude appelé ici « film pratique » augmenté des animations, documents, ou bien encore transcription.

De la sorte, le système filmique équivaut à ce que nous nommions jusqu’ici le « SHTIS de seconde génération ». Le film d’étude et ses augmentations constituent un système en annotations réciproques synchrones.

Le système filmique peut également être synchronisé avec un module satellite.

La zone périphérique est composée de différents modules. Ces modules entretiennent un lien entre eux d’une part et avec le système filmique d’autre part. Ce lien est précisément ce que nous nommions « annotations réciproques ».

L’accès aux modules se fait une fois le système filmique en pause (ou visualisé). A ce titre, il propose une relation d’annotation réciproque asynchrone où le module vient enrichir la compréhension que l’on peut se faire du film de la pratique et réciproquement.

Figure 108. Le SHTIS dans sa version modulaire : une épure

Cette représentation se voit augmentée d’une analogie au film documentaire qui devient une sorte d’exemple emblématique de la forme scénarisée que le SHTIS est amené à prendre. Cette analogie est produite à l’occasion de l’échange ci-dessous :

1 :10 :11(Gérard) Il y a cette idée qu’il y a un objet qui est le film qui est le film d’étude sur lequel on se fonde et puis après ce film d’étude il est travaillé de toutes les façons quand on regarde le documentaire d’Aurélie Donval dans lequel Céline fait classe on s’aperçoit qu’il n’y a pas que le film à un moment donné il y a Serge qui parle et puis toi qui parle et puis il y a de l’avant de l’après il y a des moments différents donc en fait c’est ça ce qu’on fait ce qu’on est en train de construire c’est pour ça que je disais que c’était nouveau c’est un peu comme quand vous regardez un documentaire 1 :10 :52 C’est un peu comme quand vous regardez un documentaire un documentaire à la télé le documentaire d’Aurélie Donval c’est un documentaire qui a le niveau d’un bon documentaire digne de ce nom et quand vous regardez un bon documentaire au cinéma ou à la télé vous avez des choses et puis ensuite vous avez des choses qui expliquent pourquoi les choses se sont passées en amont en aval vous avez des commentaires des personnes vous avez l’action même c’est ça qu’on cherche à faire l’image qu’on doit avoir en tête le modèle qu’il faut avoir en tête c’est celui d’un film documentaire

Figure 109. Le SHTIS est un documentaire

Avec la représentation précédente et cette analogie, l’ensemble des membres de l’ingénierie partage désormais une référence formelle commune de ce qu’est un SHTIS. Pour que cette référence conserve un fort degré d’adaptabilité, il restait à préciser que la forme affichée au tableau est une forme parmi un ensemble infini de formes possibles. Cette précision intervient juste après, comme l’atteste l’extrait de verbatim suivant :

1 :14 :21 (Sandrine J) Moi ça me rassure parce que c’est moins éloigné de ce qu’on fait d’habitude mais on pourra le présenter autrement via ce système/
(Gérard) Il faut pas que ce soit éloigné de ce qu’on fait d’habitude 1 :15 :32 […] 1 :15 :56 Mais vous voyez tout est possible le baromètre c’est il y a un double baromètre : on s’appuie vraiment sur la pratique effective deuxièmement on se sert de la multimodalité et de la multimodularité il y a plein de modules et dans ces modules vous allez voir que en avançant on va imaginer des modules dont on a même pas idée aujourd’hui ça c’est clair et ce qui veut dire qu’à un certain moment la différence entre ce qui est prévu a priori et ce qui est dans le feu de l’action elle va tomber quand on travaille sur les films dans une structure de recherche qui s’appelle ViSA on avait invité un scénariste enfin un théoricien du cinéma qui s’appelle Jean-Louis Comolli qui a été rédacteur en chef des cahiers du cinéma il disait au bout d’un moment les gens les documentaristes ils ont compris que pour filmer vraiment ce qu’ils voulaient filmer il fallait qu’ils fassent de la fiction 1 :17 :26 […] A un certain moment si tu es très claire sur ce que tu vas faire tu peux très bien dire en partant d’un SHTIS on peut tout à fait se dire si on faisait un SHTIS numéro deux mais cette fois Plutôt que de traiter tel type de production d’élève de cette façon on va le traiter d’une autre façon exactement comme on le ferait soit même quand on prépare une fiche de classe on se dit ah ouais j’ai fait ça mais peut être que si j’allais dans ce sens je le ferai autrement ça marcherait mieux si je le faisais dans ce sens. Donc là on va faire on va le filmer on va l’organiser et la différence entre la pratique imaginée et la pratique objective sera minime il faut l’erreur qui serait la nôtre ça serait de partir d’abord d’un scénario trop voulant montrer des choses non on part de la pratique et grâce à la multimodularité grâce aux différents modules on crée du sens sur cette pratique on crée des manières de la penser

Figure 110. Extrait du verbatim des échanges de la réunion du 28 mars 2018.

Deux baromètres : la multimodularité et la référence à la pratique ordinaire

En plus des considérations formelles que la multimodularité permet de prendre en charge, on remarquera que l’appui sur la pratique ordinaire, quotidienne, habituelle, des professeurs est de nature à les rassurer. Le témoignage de Sandrine est sans équivoque à ce sujet :

« Moi ça me rassure parce que c’est moins éloigné de ce qu’on fait d’habitude mais on pourra le présenter autrement via ce système ».

La discussion se poursuit et aborde un autre élément essentiel dans l’exercice collectif de construction d’une référence commune de ce qu’est un SHTIS. Gérard Sensevy invite les membres de l’ingénierie à considérer les possibilités de donner à voir des alternatives à la manière dont un objet de savoir a été enseigné. Pour le dire autrement et faire écho à un concept avec lequel le lecteur est désormais quasi familier, les membres de l’ingénierie sont invités à penser par contrefactuels. L’extrait suivant donne à lire la manière dont cette stratégie a été introduite et la manière dont elle peut résonner avec la production de SHTIS :

(Gérard) On travaille en ce moment d’un point de vue théorique 1 :18 :58 sur la notion de contrefactuel. Le contrefactuel c’est ça s’est passé comme ça mais ça aurait très bien pu se passer différemment et d’ailleurs vous voyez qu’en formation avec des jeunes professeurs quand on leur dit bon tu as fait ça mais comment tu aurais pu faire autrement et bien ils ont beaucoup de mal quand ils sont débutants à imaginer comment ils auraient pu faire autrement alors que quand on a appris <…> même si on a fait même si on a utilisé une manière de faire déterminée on sent bien qu’on aurait pu faire différemment 1 :19 :29 mais on peut pas faire deux choses en même temps donc on pourrait très bien imaginer dans les modules là avoir un module d’un contrefactuel où on dirait voilà là j’ai fait ça a tel moment à la minute dix-huit vous voyez là quand cet élève dit ça je vais dans cette direction j’aurai pu aussi aller dans cette autre donc il y a mille façons comme ça de complexifier de densifier la pratique 1 :19 :59 c’est pas des trucs pour faire joli ou pour faire des commentaires ça part vraiment de la pratique de toute les pratiques c’est qu’à un moment on s’engage dans une direction mais on aurait très bien pu grosso modo peu ou prou s’engager dans une autre direction légèrement différente voire très différente et c’est de ça qu’on rend compte.

Figure 111. Extrait du verbatim des échanges de la réunion du 28 mars 2018.

L’idée de contrefactuels

A la suite de ce moment, survient la question de l’authenticité des pratiques que l’on donne à voir et à comprendre dans les SHTIS. En effet, l’idée de montrer des contrefactuels, donc de montrer précisément ce qu’on n’a pas fait en première intention, peut en première approximation est prise pour de la mise en scène. L’objet des échanges qui suivent est précisément de contrer cette idée et d’expliquer en quoi les SHTIS, y compris lorsqu’ils proposent des modules contrefactuels, sont à l’inverse, des garanties d’authenticité :

1 :25 :01 / (Gérard) On peut faire vraiment des choses on peut penser à des choses et puis les faire […] A un certain moment on a prévu quelque chose on arrête et on fait autre chose et même si les élèves refont deux fois la même chose c’est jamais vraiment la même chose. On va leur dire on va faire comme hier exactement la même chose sauf qu’au lieu de 25-18 on va travailler sur 32- voilà c’est tout à fait possible de faire ça mais il faut le faire ça a un sens didactique de faire ça on peut dire aux élèves vous avez fait ça c’était super 1 :26 :03 C’était super c ‘était très bien on va recommencer pour donner à voir aux gens vous voyez il faut se donner aucune limite je dis pas qu’il faut tout le temps faire ça mais ça peut être une option/
(Josiane) Oui puis d’autant plus que c’est dans l’idée des fils rouges/ 1 :26 :22 (Valérie) Oui on sait que c’est la répétition qui paye et c’est jamais répété à l’identique chaque jour c’est différent/
(Serge) Dans le travail des SHTIS et puis dans le travail qu’on fait je crois qu’il y a un malentendu qu’il faut dissiper sur l’idée d’authenticité et de fabriquer pour 1 :26 :39 quelles que soient les situations on fonctionne avec des élèves et ce sera toujours ordinaire même si c’est fabriqué pour parce que les élèves se mettront dans une position d’élèves et le prof jouera le rôle d’un prof 1 :26 :58 et le prof jouera le rôle d’un prof ce qui est important c’est l’effort de compréhension que ça permet de faire donc on en à rien à faire ce sera toujours authentique parce que filmé dans le temps de la production et donc le temps de la production c’est un moyen de comprendre comment les élèves peuvent en arriver là donc on va attraper 1 :27 :24 des choses qui sont imprévues moi le meilleur exemple de film avec des contrefactuels que je connais c’est le film avec Bill Murray quand il se relève tous les jours à six heures si on veut comprendre ce que sont des contrefactuels on regarde ce film (Un jour sans fin). C’est clairement un contrefactuel […] quand on fait un documentaire les gens qui font du vrai cinéma c’est-à-dire une œuvre artistique scénarisée la musique est importante et nous on pourrait dire on va pas mettre de la musique dans un film de pratique de classe mais si ! 1 :28 :19 Justement parce que si ça permet de comprendre l’ordinaire et bien on va pas le mettre dans le film on va le mettre dans le module qui permet de comprendre ce système de relation ou l’intrigue qui là-dedans mais la difficulté qui est exprimée ici et qu’on a beaucoup de mal à faire comprendre C’est de dire vous fabriquez des choses pour sous réserve sous-entendu 1 :28 :51 c’est pas vraiment ce qui se passe dans la classe et bien l’effort qu’on a à faire justement c’est ce que c’est justement parce que sous-entendu c’est pas vraiment ce qui se passe dans la classe et bien l’effort qu’on a à produire justement c’est justement parce que on a fait cette demande que c’est la preuve de l’authenticité parce que cette demande-là elle va permettre par l’effort de compréhension de remonter ce qui a amené les élèves à faire ça, ce qui a amené le prof à faire ça 1 :29 :16
(Gérard) On voit bien que dans cette discussion le contenu des modules est absolument cruciale parce que c’est des 1 :29 :25 commentaires qui montrent l’authenticité de la chose rien ne montrera autant l’authenticité de la chose que le professeur qui prend la parole et qui dit tiens à ce moment-là j’ai fait ça en général je fais ça mais je ne fais pas forcément ce genre de choses-là et là je l’ai fait pour telle et telle raison et là tout de suite l’authenticité elle va s’imposer c’est-à-dire c’est pas une authenticité du genre regarder on vous met le véritable camembert authentique de Montbéliard c’est authentique parce qu’on voit que les gens sont dans un rapport d’authenticité à leur pratique
1 :30 :06 (Valérie) Donc on ferait ça en deux temps on filmerait d’abord et puis après collectivement enfin à plusieurs se demander quels modules complémentaires seraient utiles/
(Gérard) C’est ce qu’on espérait pouvoir faire aujourd’hui c’est ce qu’on fera plus clairement la fois d’après […] 1 :30 :30
(Mireille) Parce que le moment qu’on montre ça peut être enfin il faut pas que ça soit plus de cinq dix minutes donc il faut les choisir ou alors on fait des/
(Gérard) Tu peux avoir aussi au lieu d’avoir ça là [Seulement un film d’étude] 1 :30 :43 tu peux avoir ça [plusieurs extraits de film] par exemple pour le SHTIS de Florence le SHTIS fondé sur sa pratique elle a quatre ateliers on pourrait avoir quatre ateliers ici et chaque ateliers qui renvoient alors il faudra voir quelle forme ça va prendre pour pas que les gens s’emmêlent les pinceaux mais chaque atelier 1 :31 :03 et chaque atelier qui renvoie/
(Mireille) Y a pas forcément une unité de scène ça peut être un montage […]

Figure 112. Extrait du verbatim des échanges de la réunion du 28 mars 2018.

Les SHTIS et la question de l’authenticité

Un dernier aspect important dans la chaîne de conception des SHTIS par et pour ACE nous semble devoir être mentionné. Il s’agit de soumettre le SHTIS contenu dans ce que Gérard Sensevy a intitulé le « système filmique » à la critique constructive des membres de l’ingénierie. Cet aspect est donc un moyen de rendre l’aspect collectif de la conception du SHTIS encore plus marqué. L’extrait suivant traite implicitement de cela :

45 :11 (Serge) On essaye de concrétiser quelque chose de très simple Quand on regarde un exemple et qu’on y a travaillé pendant longtemps on a l’impression d’en avoir fait le tour et puis après quand on le regarde à nouveau on a l’impression de voir quelque chose qu’on avait pas vu et que ça nous semble intéressant de le mettre en évidence 45 :28 et en fait ce qu’on ,essaye de faire c’est de dire ce truc là si on est autant de personnes qui font le constat en y faisant en s’y mettant à plusieurs sur le même épisode on va démultiplier les descriptions possibles et les compréhension afin de dire la chose suivante tout le monde sait que c’est très compliqué d’enseigner comme d’apprendre et puis on a l’impression d’avoir fait le tour quand on a dit quelque chose et puis on se rend compte que finalement à la lueur de ce qu’on a vu dans un autre épisode on pourrait l’envisager d’une certaine façon46 :04 et cet épaississement de la description c’est pas quelque chose comment dire qu’on dit en plus et qui enlève ce qui vient précédemment mais c’est plusieurs descriptions possibles qui nous sont utiles à un moment pour la compréhension pour la diffusion pour la communication et pour notre propre réflexion je trouve que c’est pas simplement autrement dit c’est se dire que la description de la recherche c’est pas forcément l’ultime point où on doit aboutir notre boulot c’est pas simplement bien communiqué mais on pense que en comprenant mieux ce qu’on voit on communiquera mieux ce qu’on fait 47 :19 […] 48 :37 On ne décrit pas pour expliquer on décrit pour comprendre et en décrivant pour comprendre on explique mieux. On décrit pour comprendre et pas pour mieux expliquer alors évidemment peut être qu’en comprenant de plus en plus finement de plus en plus largement on tend à mieux s’expliquer à mieux expliquer et à mieux exprimer
49 :06 (Josiane) Oui parce que ça nous conduit à lever les implicites et à rendre explicite un maximum de choses <…> pour comprendre
(Serge) Voilà voilà donc c’est bien de l’ordre de la compréhension et pas forcément de description de ce que l’on fait

Figure 113. Extrait du verbatim des échanges de la réunion du 28 mars 2018.

Les SHTIS des machines à décrire pour comprendre, à comprendre pour expliquer

Pour organiser les conditions de cette description collective et proposer une interface qui permette aux membres de l’ingénierie de commenter les SHTIS réalisés en vue de leur modification avant diffusion nous avons opté pour la base « vialogues ».

Vialogues est un outil fondé sur la synchronisation d’un flux vidéo et d’un commentaire écrit. Le terme « vialogue » vient de la contraction des termes « vidéo » et « dialogue ». Créé par le EdLab de l’université de Columbia, Vialogues est initialement conçue comme une plateforme d’apprentissage coopératif en ligne. Hsiao & al (2014) précisent les choses ainsi: « Vialogues is a video-based discussion tool purposively devised for reflective adaptive collaborative learning. […]. Vialogues allows users to comment directly on specific portions of a video, as opposed to only posting comments on a discussion board that references an entire video. All the comments are time coded to a specific point in the video. Thus, the comments and related portions of the video can be mutually referenced ». Un bref aperçu de l’interface est proposé au moyen de la figure ci-après :

Figure 114. L’interface proposée par vialogues

L’usage que nous faisons de la plateforme vialogues est un usage détourné. En effet, la plateforme nous sert à mettre à l’épreuve les SHTIS conçus par et pour l’ingénierie. Par mettre à l’épreuve, nous entendons la mise à disposition du SHTIS pour que certains de ses aspects – de fond comme de forme – soient commentés par les membres de l’ingénierie. Dans la figure précédente par exemple, les commentaires de Catherine concerne à la fois la situation observée (l’élève qui crée des nombres) et ce qui est oralisé par la voix off dans le SHTIS (commentaire sur la distinction « calcul » vs « écriture mathématique »).
Par son interface, vialogues accentue la prise en charge collective de la conception du SHTIS. Si l’acte technique de conception reste individuel, la focalisation de l’attention du lecteur sur des éléments particuliers comme la production de contenus d’analyse demeurent des activités assumées par le collectif d’ingénierie.

La phase de conception : première synthèse

Une référence à l’objet SHTIS, dans sa forme comme dans les soubassements théoriques qui président à sa conception, se fait jour au sein de l’ingénierie. Cette référence tient dans la formule abstraite suivante : les SHTIS conçus par et pour l’ingénierie ACE sont des systèmes multimodulaires de représentations des pratiques ordinaires d’enseignement des mathématiques à l’école fondées sur la démarche ACE. Ils sont conçus collectivement par les membres de l’ingénierie et sont amenés à être diffusés massivement.
Charge à nous, en tant qu’ingénieur membre de l’ingénierie de traduire cette

formule abstraite dans une architecture qui prenne en charge ce système de motifs et de contraintes. Pour le dire autrement, la problématique à laquelle nous sommes confrontés au moment où se dessine cette référence partagée s’apparente à celle de l’architecte. Cet agencement répond finalement à la problématique de l’architecte amené à concevoir, par exemple, les plans d’un pont. Il doit à la fois faire avec les contraintes qui pèseront sur l’ouvrage et assurer les fonctions que ce même ouvrage remplira. Et l’architecte doit également faire avec les technologies disponibles au moment où il réalise son projet, des technologies porteuses à la fois de contraintes et de propriétés. C’est à cette aune que les choix de conception, les choix architecturaux se sont vus pris. Comme l’expose Baxandall (1991) lorsqu’il relate la manière dont le pont de Forth a été conçu par l’ingénieur Benjamin Baker cet exercice demande de « comprendre les conditions d’apparition d’un objet ». Dans la situation qui nous anime, le SHTIS est l’objet ou pour reprendre la terminologie de Baxandall, le « mot d’ordre ». Quant aux conditions de son apparition, la description précédente en a fixé les principales « directives » et en a par la même élucidé le problème comme le précise la formule abstraite décrite précédemment. Le terme « directives » est également issu de la terminologie de Baxandall. Il renvoie à l’idée de spécifications du problème que souhaite résoudre la conception de SHTIS. En résumé mot d’ordre (l’objet de la création) et directives (spécification de l’objet) donnent le cadre de résolution du problème (formule abstraite décrite précédemment).

La conception effective de l’ouvrage

Les lignes qui suivent visent à rendre compte de l’opération de traduction que nous avons opéré pour passer de la formule abstraite décrite précédemment à l’objet concret que représente le SHTIS. A ce stade du chapitre nous resterons dans un type de rédaction descriptif.

A ce jour, six SHTIS ont été déployés dans l’ingénierie ACE. Ces SHTIS sont conçus selon la structure multimodulaire décrite ci-avant.
Depuis l’introduction de la figure 115, que nous rappelons ci-après, est né un risque de confusion entre le SHTIS au niveau du système filmique et le SHTIS à l’échelle du système filmique et de modules assortis.

Figure 115. Le SHTIS dans sa version modulaire : une esquisse

Pour éviter cette confusion nous optons ici pour les expressions « SHTIS dynamique » lorsque nous faisons référence au média vidéo contenu dans le « système filmique » et « SHTIS statique » lorsque nous traiterons du « système modulaire de commentaires ».

Le SHTIS dynamique

Comme nous le mentionnions précédemment le SHTIS peut être vu comme un documentaire. Il documente l’action conjointe du professeur et des élèves, c’est-à-dire qu’il la renseigne, en donne les fondements, en précise les sources, en défini les enjeux et qu’il en montre les limites. Nous nous sommes donc inspirés de ce voir-comme pour produire les systèmes. Chaque SHTIS dynamique débute par un propos introductif. Ce propos est d’ordre général et peut concerner un fil rouge dans son ensemble ou un élément spécifique du domaine situation. Le propos oralisé est doublé par une succession de plan généraux. Ce propos introductif d’une durée allant d’une à deux minutes est à la fois générique, c’est-à-dire qu’il est commun à chaque SHTIS issu du même fil rouge ou du même type de situation, et spécifique, en tant qu’il se termine sur ce qui va être vu précisément dans l’épisode. La mise à plat du SHTIS ci-dessous illustre ce qui vient d’être dit. L’exemple pris concerne un SHTIS donnant à voir et à comprendre le fil rouge « explorer la ligne ». Le lecteur pourra également se reporter à l’extraction de cette introduction qu’il pourra consulter ci-après :

Transcription des propos oralisés Illustration / type et durée du plan
 

Dans sa nature, tout fil rouge doit permettre de relier les unités d’apprentissage dans les quatre domaines de la progression ACE pour le cycle 2.

Les séances fil rouge ont pour caractéristiques d’être courtes et fréquentes. En travaillant sur des temps courts et fréquents, les élèves s’entraînent intensivement en mobilisant toute leur attention et leurs connaissances.

 

Plan fixe sur l’image de la salle de classe faisant office de menu / de 00 :00 :00 à 00 :00 :29

 

Le fil rouge « explorer la ligne numérique » est destiné à être mis en œuvre dans les classes de manière quasi quotidienne,

 

Plan dynamique : l’arrière-plan de l’image est assombri tandis qu’un spot lumineux parcours l’image. Le spot se fige sur le tableau et sur le lien « Fil rouge explorer la ligne » / de 00 :00 :29 à 00 :00 :33

 

au sein de jeux ou d’activités d’une durée relativement courte (environ 10-15 minutes).

Il s’agit ainsi, aussi souvent que possible, de mettre en relation un énoncé inventé par l’élève avec une représentation graphique, par exemple le schéma ligne, avec une écriture symbolique qui peut ainsi désigner cette représentation

Plan dynamique d’une élève effectuant un exercice de recherche de différence au moyen du schéma-ligne, notamment / de 00 :00 :33 à 00 :00 :51

Comme tous les autres, ce fil rouge suppose, à côté du travail individuel intensif, des phases de mise en commun. Lors de ces phases, les différentes stratégies utilisées par les élèves sont discutées. Le professeur attire l’attention des élèves sur les stratégies les plus efficaces afin qu’elles puissent se diffuser dans la classe.

L’objet de la séquence à venir est de rendre compte de ces deux temps. Un premier temps d’exploration de la ligne par deux élèves et un second temps où le professeur revient sur les productions des élèves et les rend publiques. Ce faisant il est amené à valoriser les stratégies gagnantes tout en rectifiant les éventuelles erreurs numériques.

Plan dynamique du professeur corrigeant collectivement un exercice de recherche de différence par exploration du schéma-ligne / de 00 :00 :56 à 00 :01 :17

Le premier binôme va commettre une erreur de calcul. Il sera intéressant de voir comment le professeur va traiter cette erreur et comment il mettra à jour les stratégies des élèves pour explorer la ligne… pour explorer la différence

Plan dynamique du collectif classe / de 00 :01 :53

Figure 116. Introduction oralisée du fil rouge « explorer la ligne »

Une fois le propos introductif passé, le SHTIS débute. D’une manière générale l’espace peut être divisé en trois zones : (1) une zone où figure la vidéo qui représente ce que nous qualifions lors du chapitre inaugural un espace d’orientation de l’attention, (2) une zone où s’affiche dynamiquement ce qui est fait au tableau, que nous avions qualifié d’espace d’annotation et (3) une zone où s’affiche le texte de ce qui se passe sur la vidéo, que nous avions nommé espace de description. Les deux figures à suivre représente respectivement la vue des trois zones telles qu’elles apparaissent effectivement à l’écran et la vue annotée pour l’occasion de ces trois zones :

Figure 117. Le SHTIS ACE : trois zones pour donner à voir et à comprendre l’action conjointe du professeur et des élèves

L’objet des lignes qui suivent est de décrire brièvement ce qui se passe dans chacune des zones présentes à l’écran. Il ne s’agit pas d’opérer une description aussi fine que ce qui a pu être fait dans le chapitre inaugural, mais de contextualiser cette description aux SHTIS particuliers que sont les SHTIS par et pour l’ingénierie ACE.

L’espace d’orientation de l’attention

L’espace d’orientation de l’attention est exclusivement destiné à diffuser le film raffiné du film de pratique. Par « film raffiné », nous entendons, à la suite de Blocher & Lefeuvre (2017), le film natif qui a subi des transformations telles que des coupes, des effets divers, des accélérés, etc. Ce film est souvent constitué de plans mixtes issus de la caméra fixe et de la caméra mobile.

L’espace d’annotations

Dans les SHTIS conçus par et pour l’ingénierie ACE, cet espace est généralement utilisé pour afficher des animations dynamiques. Pour le SHTIS « explorer la ligne » qui a servi notre propos jusqu’ici, cet espace a été investi par l’animation du schéma ligne, du remplissage de la boîte à calcul et l’affichage des écritures mathématiques en ligne. In fine cet espace est généralement le lieu de reconstitution du fonctionnement des outils de représentation utilisés dans la démarche ACE. L’annotation réciproque se fait entre l’espace d’annotation et l’espace d’orientation de l’attention. Si les photogrammes suivants tentent de rendre compte de cela, le lecteur est toutefois invité à se rendre compte de l’effet d’annotations réciproques produit en visionnant l’extrait du SHTIS à suivre :


Animation du schéma-ligne état initial : les élèves s’accorde pour savoir qu’elle action effectuer

Animation du schéma-ligne état intermédiaire : un des élèves commence à tracer un pont d’une valeur de 4 dizaines en partant de 60.

Animation du schéma-ligne état final : le pont est tracé

Figure 118. Photogrammes du schéma ligne en cours d’animation

L’espace de description

Cet espace a pour fonction de décrire ce que l’on voit et ce que l’on entend. La description est faite dans un langage compréhensible par un familier de l’action. Cet espace est donc à la fois en relation d’annotations avec le film raffiné et avec l’espace d’annotation. Pour rendre compte du contenu affiché dans cet espace, il est possible de se reporter aux photogrammes à suivre ou de consulter l’extrait précédent en se centrant cette fois ci sur l’espace à considérer :

Sur ce photogramme on peut voir les élèves s’accorder sur la stratégie à opérer. L’espace de description quant à lui affiche le résultat des opérations précédentes : d’où sont partis les élèves, ce qu’ils ont fait ensuite pour parvenir à ce qui est affiché dans l’espace d’annotations.
En d’autres termes, l’espace de description affiche ici le résultat des trois actions faites juste avant le moment précis ou d’où est issu le photogramme.

Ici, la description est faite sur l’action que vient de réaliser l’élève, c’est-à-dire le résultat de la discussion précédente à propos de l’estimation de la grandeur restant à couvrir entre 60 et 96.

Sur ce photogramme on peut voir les élèves s’accorder sur la stratégie à opérer. L’espace de description quant à lui affiche le résultat des opérations précédentes : d’où sont partis les élèves, ce qu’ils ont fait ensuite pour parvenir à ce qui est affiché dans l’espace d’annotations.

En d’autres termes, l’espace de description affiche ici le résultat des trois actions faites juste avant le moment précis ou d’où est issu le photogramme.

 

Ici, la description est faite sur l’action que vient de réaliser l’élève, c’est-à-dire le résultat de la discussion précédente à propos de l’estimation de la grandeur restant à couvrir entre 60 et 96.

Figure 119. Photogrammes du schéma ligne en cours d’animation

Le SHTIS statique

Pour mémoire, nous qualifions de SHTIS statique ce qui était nommé à l’issue de la réunion du 28 mars 2018 « système modulaire ». Le travail de conception de l’interface statique de ce SHTIS a répondu à la volonté de poursuivre le travail d’analogie qui permet à chaque membre de l’ingénierie de partager la référence commune de ce que sont les SHTIS par et pour l’ingénierie ACE. L’analogie la plus évidente nous a semblé être celle du réseau, pour signifier le caractère systémique des SHTIS et les relations tissées entre les différents obtenus. La figure suivante donne une vision d’un agencement possible du réseau en fonction des obtenus en présence :

 

Figure 120. Le SHTIS « explorer la ligne » : un agencement en rhizome

L’une des caractéristiques de l’agencement modulaire en réseau est sa plasticité. Ainsi, tous les SHTIS statiques ne disposent pas du même type et du même nombre d’obtenus. Des documents peuvent aussi être rajoutés, créant de nouveaux modules. En conséquence, chaque réseau peut présenter une forme différente. Les photogrammes suivants illustrent les choses de ce point de vue :

Figure 121. Le SHTIS « fabrication de problème dans la classe de Valérie Ollivier » : un agencement en rhizome

Figure 122. Le SHTIS « fabrication de problème dans la classe de Sandrine Jadot » : un agencement en rhizome

Figure 123. Le SHTIS « le tableau des chercheurs » dans la classe d’Angélique Martinotti : un agencement en rhizome

Si l’on considère les quatre figures précédentes (figures 120, 121, 122 et 123) on obtient un assortiment de modules. Ainsi, on retrouve systématiquement le SHTIS dynamique, matérialisé par un rond bleu au centre de la page. On retrouve également un ou plusieurs modules dédiés aux commentaires par le professeur, les élèves et/ou un membre de l’ingénierie. On retrouve aussi des documents associés tels que des extraits de la progression, des écrits de l’ingénierie ou bien encore des verbatims. Cet assortiment comme nous l’avons déjà évoqué précédemment, n’est pas exhaustif et ne constitue qu’un ensemble existant à un moment donné. Un membre de l’ingénierie, Gérard Sensevy, précisait déjà cet élément lors de la réunion du 28 mars 2018 :

« on se sert de la multimodalité et de la multimodularité il y a plein de modules et dans ces modules vous allez voir que en avançant on va imaginer des modules dont on a même pas idée aujourd’hui ça c’est clair ».

Nous venons de donner un aperçu de la manière dont les SHTIS ont été conçus collectivement par et pour l’ingénierie. Mais dans la conception de cet édifice, il reste un élément à prendre en charge. En effet, à ce stade, une sorte de poupée gigogne se dessine : le SHTIS statique contenant le SHTIS dynamique. Mais un niveau supplémentaire est requis pour que les différents systèmes modulaires puissent interagir entre-eux. La prochaine section vise à décrire la manière dont nous avons pris en charge cette dernière contrainte.

La phase de mise en ligne : le SHTIS comme tout et le SHTIS comme partie

A la différence de l’ingénierie « Fables » qui propose une séquence d’enseignement composée de 16 séances, donc une structure relativement linéaire, la progression ACE est structurellement plus complexe. Ainsi, le domaine « situation », explicitement pris en charge par le collectif structuré en LéA, s’organise en trois fils rouges et un en ensemble de situations mettant en jeu de nombreux outils de représentation. La question d’une interface permettant de donner à voir un SHTIS comme partie d’un tout bien plus vaste s’est donc posée très tôt. Cet aspect des choses, couplé à l’objectif de diffusion tous azimuts de la démarche ACE nous ont conduit, dès la mi-février, à proposer aux membres du LéA la figure suivante en guise de menu. Le lecteur pourra visiter l’espace en ligne qui héberge l’ensemble des SHTIS produits par l’ingénierie didactique coopérative ACE :
http://pukao.espe-bretagne.fr/public/tjnb/shtis_ace/accueil.html

Figure 124. L’interface proposée aux membres du LéA pour structurer les SHTIS produits dans le cadre de l’ingénierie

Ici, l’analogie avec la salle de classe est explicite. On reconnaît la structure habituelle d’un tel lieu. Les outils de représentation (voir deux de ces outils dans la figure 125 ci-dessous) typiques de la démarche ACE sont également présents.

 

Figure 125. Zoom sur deux outils de représentations

Les fils rouges, comme les situations récurrentes dans ACE sont également représentés. On retrouve par exemple le « jeu des annonces » ou bien encore le « journal du nombre ».
Chaque entrée de menu est à la fois textuelle et picturale comme le précise la figure suivante

Figure 126. Zoom sur la structure textuelle et picturale des entrées de menu

Lorsqu’une entrée de menu renvoie à plusieurs SHTIS, un sous menu apparaît . Les entrées de ce sous menu sont alors détaillées pour permettre à l’utilisateur de sélectionner le SHTIS qu’il souhaite visionner. La figure suivante rend compte de cela :

Figure 127. Le sous menu en cas d’entrées multiples

L’ouvrage, ou l’édifice, tel que nous l’avons dénommé jusqu’ici en référence au travail d’architecte que nous pensons avoir mené est donc un ouvrage en trois dimensions : (1) un premier niveau représenté par la salle de classe vue comme un menu, (2) un second niveau au moyen du système modulaire autrement appelé SHTIS statique dans la section précédente et (3) un niveau supplémentaire où l’on retrouve le SHTIS dynamique tel que nous l’avions imaginé au début de nos travaux. La figure à suivre rend compte de la profondeur de ces trois dimensions :

Figure 128. Le SHTIS par et pour ACE, un édifice en trois dimensions

Maintenant que le lecteur est familier de ce que représentent les SHTIS conçus par et pour l’ingénierie ACE, c’est-à-dire qu’il en possède une référence que nous espérons partagée, il devient possible de décrire les effets que le déploiement des SHTIS ont eu sur l’ingénierie. Ce sera précisément l’objectif des propos à suivre.