Marie-José MORICE – 2012-2013- M1-G1- L’air de rien

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L’air de rien

1 – DESCRIPTION /MISE EN RELATION / ARGUMENTATIONS:

DESCRIPTION

Ce travail s’inscrit dans le cadre du TP3 et questionne la notion de volume. Il répond à la consigne : « volumes et objet : à partir de votre objet, ou de ceux proposés, réaliser une composition en trois dimensions (assemblage) qui exprime et renouvelle le sens de l’objet initial ». Ce travail a donc été réalisé simultanément sous forme de « happening » avec des déplacements de lumière qui sculptaient un volume celui de l’espace d’une pièce noire, tout en étant captés en 2D par un appareil photo calé en pause B.

Ce travail interroge également la matière, la lumière, l’espace et fait également lien avec le travail que j’avais présenté au semestre 7, OVNI, car il joue avec la matière lumière.

EXPLICATIONS et PROCESSUS DE CREATION

Cette composition a été réalisée dans une pièce aux murs noirs avec un appareil photographique numérique calé en pause B.

L’objet utilisé est une lampe torche classique dont la partie lumineuse a été masquée par une feuille A4 de plastique translucide rouge. Le bout de la lampe n’a pas été modifié. La lumière diffuse est donc rouge sur les côtés et jaune à son extrémité.

J’étais habillée de vêtements noirs pour obtenir un fond noir parfait.

Avant la prise de vue, j’ai pris les repères cadre dans l’espace de la pièce pour anticiper mes déplacements, évaluer les grandeurs de gestes et donc de lettres.

Durant la prise de vue, en pause B, je me suis déplacée de gauche à droite du cadre, tenant la lampe à la verticale avec la main droite : goupille vers le bas, partie haute et rouge appliquée sur le menton, et extrémité de la lampe de laquelle sortait la lumière jaune pointée vers le nez.

L’écrit du haut a été dirigé par le bout du nez éclairé comme on utilise un crayon qui dessine dans l’espace face à l’objectif de l’appareil. Pour que les lettres formées restent assemblées et lisibles, je me déplaçais en pas chassés, le corps suivant le geste imposé par la lettre que composait le nez.

Le deuxième écrit, au milieu a directement été fait avec la lampe déplacée et celui du bas de la photo est la projection du bout de la lampe sur le sol.

ARGUMENTATIONS

J’ai choisi de travailler la notion de volume en questionnant les notions de vide, de surface, de mouvements, de temps, de traces, de perceptions comme ont pu le faire différents artistes, scientifiques d’horizons très différents.

  • un volume peut être à la fois plein (terre, pierre…) et à la fois « vide » de matière palpable et plein d’air.

  • une surface plane peut être la représentation d’un volume : la photographie représente en aplat des volumes.

  • les contours d’un volume peuvent être figés ou fugaces (la lumière sculptant le vide est fugace à l’oeil nu et figée par l’appareil photo

  • les traces de mouvements créent des volumes.

    tout en utilisant des techniques artistiques qui a priori ne sont pas liées au volume : la calligraphie et la photographie

1- Les matériaux

Le nez est utilisé comme outil scripteur similaire, à un pinceau, un crayon, un calame.

Le support ou la surface habituellement plane en calligraphie devient ici un « volume » en trois dimensions : l’espace vide de la pièce dans le noir.

L’encre ou la peinture est ici lumière projetée sur le nez.

Et cette lumière habituellement fugace est captée, capturée, figée par la pause B de l’appareil photo, créant ainsi une continuité, un tracé face à l’objectif, un contour du vide dans l’espace.

Si ce tracé avait été réalisé sans appareil photo, face à une personne, la persistance rétinienne de l’oeil aurait peut-être permis de déceler un semblant d’écrit, mais pas forcément de lire le mot. La lampe aurait éclairé des portions d’espaces, mais n’aurait pas figé un ensemble. La lumière ici figée devient tracé qui contourne un vide, délimite des frontières, instaure des volumes. Elle rassemble des vides, assemble des lettres et suit les mouvements guidés par le nez, propulsés par le corps, créant ainsi des effets calligraphiés dans l’espace.

2- La calligraphie et le corps

En calligraphie le terme « ductus » (avec pour étymologie « conduire »), définit la manière de tracer les lettres. Suivre le ductus c’est apprendre à réaliser harmonieusement les caractères d’écriture. Par analogie, pour réaliser un mot en lumière, il faut donc que la totalité du corps participe de la formation du mot avec une harmonie des gestes, similaire à la danse, à l’expression corporelle.

Sur calligraphie papier, le délié est réalisé en appliquant la plume dans un certain angle afin que l’encre afflue peu ou avec un pinceau très fin suivant le type d’écriture choisi ; le plein est réalisé en appliquant la plume dans un certain angle afin que l’encre afflue correctement ou avec un pinceau assez gros suivant le type d’écriture choisi.

Ici, avec la lampe torche, les effets de pleins et déliés sont réalisés par inclinaison dans l’espace, par contours des vides.

Ce procédé pourrait s’appeler actuellement « Light painting », « light graph » mais est utilisé depuis les origines de la photographie ou du pré-cinéma et a enrichit des peintres, sculpteurs, calligraphes qui créent des effets de volume avec la lumière mettant en avant par un procédé technique, la notion du visible et de l’invisible rendu visible, de la surface plane et du volume.

3- La photographie ou écriture de lumière.

La photographie a pour étymologie  : écriture, trace de lumière. Elle est une technique qui permet de créer des images par l’action de la lumière. Elle désigne également l’image obtenue par cette technique. Et enfin elle désigne l’art qui est lié à cette technique. Elle est donc une trace, une technique, une image et un art.

Elle permet de figer un instant ou une succession d’instants réalisés dans un espace, un volume, sur une surface plane.

Utilisée dès ses débuts à des fins expérimentales, scientifiques, médicales, et/ou artistiques, elle a aussi permis de figer ce que l’être humain ne pouvait percevoir à l’oeil nu, elle a été utilisée à d’autres fins que de rendre compte de la réalité perçue.

4- Le mouvement dans l’espace crée des effets de volume.

Etienne-Jules-Marey-1881, chronophotographie
Etienne-Jules-Marey-1881, chronophotographie

Jules Etienne Marey (1830-1904), après avoir mis en place le premier cardiographe et sphysmographe, qui permettent de retranscrire par tracés des pulsations, s’intéressera ensuite plus généralement à l’étude des mouvements animaux et humains, utilisant les procédés de la photographie encore naissante.

Edouard Muybridge (1830-1904), photographe britannique, prouvera la validité des recherches de Marey, en 1878 : sur une piste équestre blanchie à la chaux, il dispose 12 appareils photographiques qu’il déclenche à distance avec des fils tendus : The Horse in Motion, vient confirmer que le cheval au galop marque un temps suspendu sans appui au sol. Tous deux vont ainsi s’attacher à mettre en valeur le mouvement en lumière (voir les études d’un homme en mouvement de Marey avec un chronographe) et zootropes, fusils photographiques, praxinoscopes… vont apporter une contribution indéniable à l’invention du cinéma.

E-Muybridge-cheval au galop 1878
E-Muybridge-cheval au galop 1878

Voir l’exposition en ligne de la Cinémathèque Française sur Marey et Muybridge : http://www.expo-marey.com/home.htm.

Opposées et complémentaires, la photographie et le cinéma interrogent le mouvement  dans l’espace : le projecteur cinéma fait défiler 24 images fixes qui créent le mouvement pour l’oeil, et ici la photographie fige plusieurs mouvements sur une même image donnant à voir ce que la persistance rétinienne ne nous permet pas de voir. Mettant ainsi en valeur l’espace traversé, la succession de mouvements liés qui forment un tracé lumineux, une succession d’instants juxtaposés qui créent des traces, des contours, des volumes, non visibles à l’oeil nu.

 

Demeny-Fencer-1906
Demeny-Fencer-1906

Georges Demeny, (1850-1917) physiologiste et photographe français, y verra le moyen d’analyser les gestuelles des sportifs en action, de perfectionner les gestes et fera évoluer l’éducation sportive.

Les sciences et les arts s’enrichissent, s’interconnectent. Marcel Duchamp

M. Duchamp-nu descendant l'escalier, 1911
M. Duchamp-nu descendant l’escalier, 1911

rendra hommage à Marey avec Le nu descendant l’escalier,

et plus tard Picasso à Vallauris en 1956 sculptera avec de la lumière dans son atelier devant un appareil en pause longue.

Peinture, sculpture, traits, graphie, photographie ?

 

picasso-light-painting-1956
picasso-light-painting-1956

Plusieurs artistes dont Man Ray, utiliseront la signature, en lumière.

Et par un procédé sans appareil photo, plus proche du cyanotype, Pierre Cordier,

Pierre-Cordier-1981-musigramme
Pierre-Cordier-1981-musigramme

combinera la fusion de la peinture et de la photographie avec le chimigramme : peintures ou vernis sont directement appliqués sur une émulsion au gélatinobromure d’argent directement en pleine lumière. Ces rendus, proches de la partition musicale, de l’écriture, associent chimie, peinture et photographie. La trace chimique crée des effets graphiques.

Bruno Riboulot, calligraphe, s’est penché sur le geste parfait calligraphié en lumière, il sculpte des lettres dans l’espace, avec la perfection d’une lettrine d’imprimerie, créant des effets de volume par superpositions de gestes dans l’espace.

Bruno Riboulot-Après avoir abandonné ton corps- 2004
Bruno Riboulot-Après avoir abandonné ton corps- 2004

2- TRANSPOSITION DIDACTIQUE:

Cette « technique » ou cette composition fait écho à plusieurs notions étudiées au cycle 3 et permet une approche pluridisciplinaire abordée de façon ludique, avec pour fil conducteur la concentration, le geste précis par l’expérimentation directe.

Elle fait lien avec :

  • le français et l’écriture, la calligraphie, la maîtrise de l’écrit

  • Les mathématiques et le volume, l’espace, l’abstraction, les grandeurs…

  • les sciences physiques et l’étude de la lumière, de l’électricité, les mécanismes

  • les sciences de la vie et le mouvement, le corps, l’oeil, la vision…

  • l’éducation physique et le corps, la précision du geste, la respiration, l’adaptation des gestes à l’environnement, concevoir une expression corporelle à visée artistique.

  • l’histoire des arts visuels et la peinture, la photographie, le cinéma, la sculpture tout en pratiquant une expérimentation sensorielle, créatrice..

  • l’histoire des sciences et les évolutions technologiques, mécaniques qui ont permis la naissance de la photographie, du cinéma..

  • l’instruction civique et morale et l’estime de soi, le respect d’autrui, la capacité d’anticipation…

et pourrait de plus, être complémentaire d’un travail à l’année avec Ecole et Cinéma.

3– SITUATION PEDAGOGIQUE:

Pour permettre d’extraire un maximum de notions de cette pratique, il pourrait être intéressant de l’inscrire dans une progression pluridisciplinaire à l’année.

J’ai donc choisi ici de présenter une progression générale liée au programme de l’année en cycle 3, et de décrire plus précisément la première séance sous forme d’expérimentation pratique, puis d’y ajouter , une séance plus théorique dont les contenus seraient similaires à la partie 1 de cet article.

1- Progression générale :

Destiné à un cycle 3, cette pratique pourrait s’inscrire dans le cadre d’un projet à l’année proposé sur la notion de « Voir» et ferait constamment lien avec avec les différentes disciplines évoquées dans la transposition didactique.

1ère séance : (durée ¾ d’heure)

Conçue sous forme d’atelier photographie de lumière, dans la première partie du premier trimestre, avec pour objectif de poser des questions et de plonger directement dans la « magie » de la photographie et du procédé. Elle permettrait :

  • de questionner par l’expérimentation et le questionnement toutes ces différentes notions évoquées et pluridisciplinaires.

  • de présenter les notions qui seront étudiées au cours de l’année

  • de lancer des pistes d’apprentissage par le faire

  • de créer une dynamique de groupe par l’écoute , le respect de l’autre, le respect de soi..

  • de s’inscrire dans le temps avec pour finalité celle de la progression.

2ème séance : Conçue sous forme de cours plus classique, plus « théorique » elle se déroulerait la semaine suivant l’atelier et serait spécifiquement dédiée à la photographie et au cinéma. Elle présenterait les artistes et ou scientifiques cités dans la partie 1 de cet article, faisant toujours le lien entre les sciences et les arts. Elle permettrait un ancrage artistique à la pratique qu’ils ont éprouvée. Et permettrait également un lien avec les films qu’ils verraient dans le cadre du dispositif Ecole et Cinéma.

Ensuite : Une séance de pratique pourrait être reconduite au début du second trimestre permettant de retravailler plus précisément la gestuelle, la mémoire, le mouvement, le temps de maturation sur un travail… et de faire lien avec ce qu’ils auront vus lors de la 2ème séance, leur permettant d’enrichir leur pratique par ce qu’ils auront vu et mémorisé des artistes présentés.

En complément, une séance de cyanotypes pourrait être organisée en sciences, des séances de sports sur la gestuelle, la danse, des séances de calligraphie en français…

Puis un dernier atelier photographie de lumière, à la fin du dernier trimestre qui en plus de perfectionner les gestes, permettrait de réinvestir et revoir toutes les notions pluridisciplinaires évoquées dans la partie 2 de cet article, sous forme de bilan en atelier… avec précision des termes scientifiques, des termes en photographie, cinéma…

A la fin de l’année une vidéoprojection ou exposition permettrait de montrer le travail et son évolution, du brouillon vers un travail plus accompli.

 

2- Description de la 1ère séance :

Contraintes techniques

La séance se déroulera dans une salle disposant d’un espace vide et sera plongée dans le noir.

Le matériel sera installé avant l’arrivée des élèves, et les fils gaffés au sol pour des raisons de sécurité.

Matériel :

  • un appareil photo numérique relié à un ordinateur équipé d’un logiciel de pilotage d’appareil photo à distance
  • un vidéoprojecteur relié à l’ordinateur (chaque photo prise peut donc être vidéoprojetée quasi instantanément à la prise de vue)
  • Une lampe de proche classique.

Déroulement de la séance et consignes

Au retour de la récréation les élèves sont invités à veiller au matériel en entrant et à s’asseoir au fond de la salle.

Introduction :

  • Présentation aux élèves de ce qui va être expérimenté en précisant la progression évoquée ci-dessus et le lien avec le projet à l’année.

  • Présentation du matériel et du dispositif technique et de son fonctionnement en lien avec les TICE.

  • Explication brève du fonctionnement d’un appareil photo en posant des questions aux enfants sur leurs pré-requis et en faisant une analogie avec l’oeil, la vision.

  • Demande et désignation de 3 volontaires co-pilotes : un pour éteindre la lumière à chaque prises de vues, un pour appuyer sur le déclencheur du logiciel de pilotage à distance, un pour masquer la lumière du vidéoprojecteur lors des prises de vues et pour démasquer l’objectif lors de la vue en grand écran de la photographie réalisée.

  • Précisions aux élèves sur le déroulement : chaque élève passe seul, et les autres élèves regardent, s’inspirent de ce qu’ils voient pour le reproduire ensuite, le modifier, l’améliorer, le simplifier lors de leur propre passage. Ils essayent également de « deviner », « mémoriser », « imprimer » ce que leur copain fait en direct, jouant ainsi avec leur propre regard et la mémoire de leur oeil.

    Les consignes :

  • Ecrire, dessiner avec le corps, avec la lumière.

  • Sculpter les volumes avec la lumière.

  • Anticiper, mémoriser, se déplacer dans l’espace, prendre des repères.

  • Voir et regarder, reproduire et améliorer

    Déroulement :

  • Démonstration de l’enseignant en direct qui écrit un mot : soin à apporter aux gestes, au corps, à l’équilibre, aux déplacements du corps, à l’anticipation, aux déplacements dans l’espace, aux repères du cadre.

  • Vidéoprojection en direct de ce qui s’est fait face à l’objectif, l’enseignant précise ce qu’il a souhaité faire et ce qui aurait pu être affiné.

  • Puis expérimentation à tour de rôle de chacun des élèves. Chaque élève peut passer deux fois pour perfectionner son geste. Il peut dessiner, écrire un mot, son prénom… A l’issue de son passage, il découvre en vidéoprojection ce qu’il a fait, précise ce qu’il a voulu faire, le décalage éventuel, ce qu’il a réussi ou pas et pourquoi. Chaque élève s’enrichit et s’inspire de qu’il voit de ce que font les autres élèves.

  • Lors du passage de chaque élève, l’enseignant conseille sur des déplacements, des repères dans l’espace, la direction de la lampe face à l’objectif ou non, ouvre petit à petit vers des gestes variés, plus amples, apporte du vocabulaire : des termes de calligraphie : pleins, déliés.., de géométrie : lignes, courbes, volumes, arêtes, profondeurs, cadres.., liés à l’expression corporelle… et met en valeur chaque rendu.

    Conclusion :

  • A la fin du passage de l’ensemble des élèves, l’enseignant évoque que la séance sera reproduite au trimestre suivant et qu’aucune des photos ne sera imprimée, chacun d’entre eux a donc à mémoriser ce qu’il a fait pour pouvoir le perfectionner, le faire évoluer, préciser les gestes lors de la prochaine séance.

L’approche choisie ici part d’un lien constant entre différentes disciplines avec pour fil conducteur la complémentarité, l’enrichissement et le décloisonnement des disciplines. Enrichir la sciences des arts, et inversement pour éveiller des questionnements, des certitudes et des interrogations en éprouvant, en expérimentant la notion de volume.

2 réflexions sur « Marie-José MORICE – 2012-2013- M1-G1- L’air de rien »

  1. Précise ton nom à l’en-tête de ton article, Marie-José ?
    Contenu détaillé, inventif et solidement articulé aux apprentissages du cycle 3.
    J’ai hâte de le voir mis en pratique réelle !
    pascal Bertrand

  2. Nom précisé
    Merci pour le commentaire.
    Il est encore tôt pour envisager la pratique réelle, après les examens on verra…

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