Paul et la bête sauvage par Lena Marques Ferreira

Paul et la bête sauvage par

Lena Marques Ferreira

C’était un village comme il en existe tant dans les forêts bretonnes, où chaque animal se côtoyait sans se causer d’ennuis.

Il y avait dans ce village un poussin très téméraire nommé Paul qui rêvait de devenir dresseur de fauves. Tous les jours, il lisait le même unique livre qui décrivait comment dresser des bêtes sauvages. Paul, qui était encore très jeune, n’en avait à ce jour jamais vu une seule. Il imaginait toujours les aventures incroyables qui lui arriveraient s’il quittait son village pour aller à la rencontre des merveilles qui pouvaient se trouver de l’autre coté de la forêt. Il parlait de ce projet du matin au soir. C’était d’autant plus frustrant que dans ce village, personne n’était jamais impressionné par ses exploits rêvés.

 

Paul avait un ami qui s’appelait Gus. Gus était un lapin à l’air nonchalant qui semblait toujours déçu de tout. Le grand rêve de Gus était en réalité de passer ses journées à manger des crêpes aux chamallows tout en jouant aux cartes. Mais comme il n’en parlait jamais, personne n’en savait rien.

 

Un jour qu’il avait plu tellement fort que toutes les maisons du village s’étaient ratatinées, une étrange créature fit son apparition. En la voyant, Paul n’eut aucun doute : de couleur orange, munie de crocs luisants, grosse comme un char d’assaut, c’était forcément un fauve ! D’ailleurs, ce fauve-là avait revêtu un casque de défense extrêmement sophistiqué. Pas de doute : il venait attaquer le village ! Paul jubila d’excitation, et sans hésiter plus longtemps, il sauta sur le dos de la bête. A son grand étonnement, la créature ne réagit pas. D’ailleurs, elle ne bougea pas d’un pouce.

– Hue ! fit Paul.

 

Il passa une corde autour du cou de sa victime et lui intima d’avancer. La créature dû se résoudre à se traîner sur quelques centimètres, laissant une longue trace luisante à l’arrière de son unique pied. Paul ne se formalisa pas de cette lenteur accablante, et c’est au bout de trente minutes qu’il fit son entrée triomphale dans la ville.

 

Les villageois le regardèrent sans rien dire. Personne ne réagit. Paul s’exclama :

 

– Vous avez-vu ? Je suis le plus grand dresseur de fauve de toute la forêt !

 

Il y eut un silence, puis chacun cessa de lui prêter attention. Alors Paul fit avancer sa monture jusqu’à Gus, qui mangeait une pomme d’amour. Cela prit une bonne vingtaine de minutes supplémentaires.

 

– Tu as vu ? Répéta-t-il. Je suis le plus grand dresseur de fauves de toute la forêt !

 

Gus termina sa bouchée, se tourna vers son ami et lui répondit :

 

– Ce n’est pas un fauve, c’est un escargot.

 

Paul écarquilla les yeux. A vrai dire, il n’avait jamais entendu parler de cet animal. Penaud, il descendit de sa monture. L’escargot n’eut aucune réaction.

 

– Et si on allait chez toi manger des crêpes aux chamallows ? Proposa-t-il d’une toute petite voix.

 

Gus garda son éternel air nonchalant, mais une petit lueur brilla dans ses yeux. Il accepta d’un hochement de tête.

 Quant à l’escargot, il continua sa route et personne ne le revit jamais.